Crise industrielle et réaction syndicale

Crise industrielle et réaction syndicale : Retour sur la manifestation nationale de l'industrie du 22 septembre 2012

Plusieurs milliers de salariés ont bravé la pluie automnale ce samedi 22 septembre pour battre le pavé de la Berne fédérale. Les ouvriers de Tornos touchés par des plans de licenciement, les chercheurs de Merck Serono jetés sur le pavé, les salariés de Lonza ayant dû augmenter leur temps de travail à cause du fameux article de crise nº 57 de la Convention collective de travail (CCT) et bien d’autres ont répondu présents.

 

La manifestation se voulait un moment rassembleur pour l’ensemble des salariés d’un secteur industriel frappé de plein fouet par la « crise ». Depuis quelques années, les restructurations néolibérales dictées par un capitalisme financiarisé avide de rendements ultra-­rapides et donc de délocalisations se succèdent. Le tout sans grande capacité de résistance de la part des salariés. A l’exception de la lutte des employés des Officine de Bellinzone qui ont réussi à maintenir le site, les rares luttes de ces dernières années ont été autant de défaites et de reculs que les salariés ont dû enregistrer. A y regarder attentivement, même la « victoire historique » de Novartis Nyon s’avère être un recul (certes nettement moins important que ce qui était initialement prévu mais un recul quand même) puisque le personnel a dû accepter une hausse de son temps de travail.

            Au vu de la situation, on ne pouvait donc que se réjouir de l’existence même de la manifestation et elle fut un succès à ce titre. D’autre part, la manifestation s’inscrivait aussi dans le cadre du renouvellement de la CCT des machines qui arrive à échéance mi-2013. Alors que par voie de presse l’association patronale Swissmem excluait d’emblée toute amélioration de la CCT qui engendrerait des coûts pour les patrons (notamment pas de hausses de salaire), la manifestation du 22 septembre se voulait être la réponse syndicale à cette arrogance, ainsi que le point de départ des négociations à venir. Une façon de créer un rapport de force dans ce secteur historique de la paix du travail qui compte près de 330 000 salariés. 75 ans après la signature de cet accord, le syndicat Unia lançait enfin l’appel à la mobilisation du personnel de l’industrie des machines. Un appel à la mobilisation d’autant plus nécessaire que le cahier de revendications syndical était pour le moins ambitieux avec entre autres l’instauration de salaires minimaux (minimum 4000 francs) et l’abolition de l’article 57 (permettant aux entreprises de déroger à la semaine de 40h en cas de difficultés).

 

Une manifestation pas à la hauteur des défis

Malgré tous ses mérites, force est néanmoins de constater que la manifestation n’a pas été à la hauteur des défis qui frappent actuellement les salariés de l’industrie. En termes de participation tout d’abord : le syndicat Unia a dû faire appel in extremis aux salariés des imprimeries de Syndicom, à ceux des transports du SEV ainsi qu’à l’appui de l’Association du personnel de la confédération (APC) pour pouvoir remplir la place fédérale. Sans la présence des nombreux permanents syndicaux (plusieurs centaines), des militants des autres branches (notamment le bâtiment) ainsi que des retraités, jamais Unia n’aurait pu avancer le chiffre de 5000 manifestants.

            On ne reconstruit pas en une manifestation une organisation syndicale après des décennies de renoncement à la mobilisation et de rabâchement de discours mystificateurs sur la paix et le partenariat social. La manifestation du 22 septembre n’aura ainsi un sens que si elle parvient à marquer un premier pas vers une nouvelle stratégie syndicale. Pour ce faire, il appartient aussi de faire la critique du contenu de la manifestation et que cette critique soit portée par les militants qui étaient présents ce 22 septembre. Alors que les salariés vivent tous les jours de nouvelles attaques de leurs patrons, qu’ils se battent pour améliorer leurs protections contre les licenciements collectifs et contre les licenciements antisyndicaux, qu’ils réclament la suppression de l’article 57 de la CCT, toute la manifestation a été placée sous le slogan corporatiste « pour une place industrielle forte et créatrice d’emplois ».

            Que le syndicat réclame des autorités une politique industrielle qui réponde aux besoins de la population fait sens. Qu’il produise un discours effaçant les clivages entre salariés et direction dans l’industrie faisant croire à des intérêts communs contre les banques est par contre nettement plus inquiétant (peut-être serait-il utile à certains responsables syndicaux de relire le classique de Lénine sur l’impérialisme pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont plus d’un siècle de retard dans l’analyse économique). Ce n’est pas avec une telle orientation en tous les cas qu’on pourra espérer des suites à la manifestation du 22 septembre, ni que cette dernière aura marqué un tournant dans une politique de paix du travail bien rodée et qui aura fêté en grande pompe ses 75 ans.

            Heureusement, et c’est une note d’espoir, ce n’est pas pour ce slogan que ce sont déplacés les milliers de manifestants du 22 septembre, qu’ils soient ou non du monde de l’industrie : la manifestation était la seule manifestation nationale du mouvement syndical prévue pour cet automne… De quoi faire de la Suisse ce Sonderfall tant vanté par nos chers patrons dans une Europe en ébullition. 

 

Jean Masci