Déclaration finale de Rio+20

Déclaration finale de Rio+20 : Pire qu'un échec!

La déclaration finale du sommet de la terre à Rio au mois de juin, intitulée « L’avenir que nous voulons » a été acceptée à l’unanimité, dans la mesure où il n’y avait pas de possibilité de s’y opposer, par les 193 pays membres de l’ONU.

   Ce texte doit être ressenti comme une insulte par tous les êtres humains qui souffrent de la faim et de la misère, des dérèglements climatiques et écologiques qui créent déjà et surtout préparent des catastrophes, des crises économiques amenant chômage, précarité et austérité, des inégalités qui touchent particulièrement les femmes. Il crée la « colère » du Réseau Action Climat, qui regroupe quelque 600 ONG écologistes dans le monde.

 

 

Il y a fondamentalement trois raisons qui rendent ce texte insupportable :

 

 

1

Cette déclaration ressasse sur 54 pages une somme de bonnes intentions qu’auraient ensemble les responsables gouvernementaux des Etats dominants du monde :

 

« Ainsi sommes-nous déterminés à affranchir d’urgence l’homme de la faim et de la pauvreté. » (Thèse 2).

 

« Nous réaffirmons également l’importance de la liberté, de la paix et de la sécurité, du respect de tous les droits de l’homme, y compris le droit au développement et le droit à un niveau de vie adéquat, notamment le droit à l’alimentation, l’état de droit, l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ainsi que, plus généralement, notre engagement en faveur de sociétés justes et démocratiques aux fins du développement. » (Thèse 8)

 

« Nous insistons par conséquent sur le fait que la lutte contre les changements climatiques exige de prendre d’urgence des mesures ambitieuses » (Thèse 25).

 

« Nous soulignons que l’économie verte devrait contribuer à l’élimination de la pauvreté et à la croissance économique durable, améliorer l’intégration sociale et le bien-être de l’humanité, et créer des possibilités d’emploi et de travail décent pour tous, tout en préservant le bon fonctionnement des écosystèmes de la planète. » (Thèse 56)

 

« Nous réaffirmons qu’il importe d’associer plus étroitement et plus largement les pays en développement à la prise de décisions et au processus de normalisation internationaux dans le domaine économique » (Thèse 92)     

 

« Nous recommandons d’intensifier la collaboration et la coopération aux niveaux national et international en vue de renforcer les systèmes de santé grâce à une augmentation des budgets consacrés à la santé.»(Thèse 143)

 

« Nous réaffirmons que le changement climatique constitue l’un des plus grands défis de notre époque et nous sommes profondément inquiets de ce que les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter à l’échelle mondiale.» (Thèse 190)

 

« Nous reconnaissons que des changements fondamentaux dans la façon dont les sociétés produisent et consomment sont indispensables pour réaliser un développement durable à l’échelle mondiale.» (Thèse 224)

 

« Nous réaffirmons qu’il importe d’établir des cibles précises et d’appliquer des mesures provisoires, selon le cas, pour augmenter substantiellement le nombre de femmes à des postes de responsabilité, en vue de parvenir à la parité.» (Thèse 237)

 

Il y a 54 pages exprimant toutes les bonnes intentions possibles. Ce monde merveilleux est à portée de main, il suffirait de concrétiser le développement durable. Pour que ce soit clair, ce terme « développement durable » qui résout tous les problèmes est mentionné 281 fois dans la déclaration, plus de 5 fois par page !

            Il faut remarquer que le concept d’économie verte, qui devait prendre la place du terme « développement durable » qui a quand même un peu perdu de sa crédibilité, a été un peu laissé sur la touche, limité à 19 thèses sur 283, et toujours accompagné de « dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la pauvreté ». Ce sont les pays en développement qui s’y sont opposés, car ils y voyaient une limite à leur volonté de développement !

            Connaissant les politiques menées par la majorité des pays signataires, dont on peut clairement dire qu’elles ne vont pas dans le sens des bonnes résolutions annoncées, il est logique de se montrer fortement sceptiques, ce que la suite va démontrer.

 

2

Le titre RIO+20 n’a de sens que si un bilan des objectifs et résultats de RIO 92 est proposé. Cette exigence minimale d’un fonctionnement intellectuel rigoureux a simplement été ignorée.

 

Pour réaliser les bonnes intentions évoquées au point précédent, il suffit, selon la déclaration, de poursuivre la politique menée depuis 20 ans, avec l’objectif du développement durable. Une exigence élémentaire mais fondamentale, lorsque l’on a défini une politique, c’est d’évaluer ses résultats, positifs ou négatifs, d’envisager d’éventuelles modifications. Ne pas respecter une telle évidence révèle une incompétence rare ou une véritable malhonnêteté, et c’est ce que se sont permis les Etats signataires !

            En effet, parmi les 283 thèses de la déclaration finale, aucune trace d’un bilan, après 20 ans, des objectifs définis par RIO 92. Il est bien mentionné, d’une manière très générale, que des progrès ont été réalisés, mais pas autant qu’il aurait fallu, sans que ces remarques aient un quelconque effet.

            Cette absence d’un bilan, en contradiction avec le conclusions de Johannesburg 2002, n’est certainement pas un oubli, mais la conscience qu’un tel bilan remettrait en cause l’objectif politique de la majorité des gouvernements: la non remise en cause des systèmes économiques et politiques dominants dont ils sont les représentants. Et pourtant un début de bilan était à disposition, le rapport GEO-5, publié début juin par le PNUE. «Si rien n’est fait pour inverser la tendance, les gouvernements devront assumer la responsabilité d’un niveau de dégradation et de répercussions sans précédent», a déclaré Achim Steiner, directeur général du PNUE en le présentant. Manifestement, ce document n’a guère ému les participants à la conférence, même si l’on peut s’étonner du fait que ce document n’a été publié que 2 semaines avant la conférence.

            Rio 92 a correspondu au lancement officiel du concept de développement durable, dont l’objectif est «un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.» Cela implique une priorité pour satisfaire les besoins des plus démunis, donc l’élimination de la faim et de la pauvreté sur terre, et respecter la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.

La déclaration de RIO 92 l’exprimait sous la forme :

PRINCIPE 1 Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature.

 

PRINCIPE 3 Le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures.

 

PRINCIPE 4 Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément.

 

PRINCIPE 5 Tous les Etats et tous les peuples doivent coopérer à la tâche essentielle de l’élimination de la pauvreté.

PRINCIPE 7 Les Etats doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre.

 

Comparons ces engagements avec la réalité actuelle.

La faim dans le monde: Le nombre d’êtres humains souffrant de la faim sur terre a augmenté, passant de 850 millions en 1992 à 925 millions en 2012. Compte tenu de l’augmentation de la population, le pourcentage a diminué de 20 % à 16 %. 20 ans après RIO 92, il est insupportable que près d’un milliard d’êtres humains souffrent de la faim, alors que des richesses privées s’étalent avec arrogance.

La pauvreté dans le monde: Le nombre d’extrêmement pauvres (moins de 1,25 $ par jour) est passé de 1,91 milliards d’êtres humains en 1992 à 1,290 milliards en 2008, ce qui correspond à un passage de 40,9 % de la population mondiale à 22,4 %. Cependant il me semble impossible de parler de succès, quand il reste 1 habitant sur 5 qui vit avec moins de 1,25 $ par jour, et 2,47 milliards d’êtres humains qui vivent avec moins de 2 $ par jour, soit 43 % de la population mondiale.

La protection de l’environnement: Sur cette question fondamentale pour l’humanité, l’échec est également patent. Un des indicateurs les plus significatifs est l’empreinte écologique, qui comptabilise la demande exercée par les hommes envers les « services écologiques » fournis par la nature, comparée à ce que la nature est capable de fournir. En 20 ans, cette empreinte a augmenté de 25 %. Si tout le monde consommait comme un Américain, il faudrait disposer de 5 planètes. La situation concernant le dérèglement climatique est tout autant inquiétante : la concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 10 % entre 1992 et 2012, et surtout les émissions mondiales annuelles de ce gaz ont augmenté de 30 % dans la même période. La lutte contre le réchauffement est mal partie, et les échecs des conférences internationales récentes (Copenhague, Durban) augurent mal de l’avenir. Les autres aspects de l’environnement, biodiversité, pollutions, désertification, érosion des sols, ne se portent pas mieux.

L’aide aux pays «en développement»: RIO 92 avait donné comme objectif qu’en 2000 l’aide provenant des pays développés atteindrait 0,7 % de leur PIB. Aujourd’hui cette aide est en moyenne inférieure à 0,4 %.

 

3

Manifestement le remède proposé en 92 ne marche pas, et pourtant RIO+20 ne fait que proposer, en plus vague, le même remède.

 

Les constats ci-dessus sont absolument clairs : le développement durable a échoué. C’est même un constat que deux des responsables principaux du développement durable en France et en Angleterre, Dominique Bourg et Tim Jackson, ont reconnu.

            La question se pose alors : pourquoi un tel aveuglement face aux dangers qui menacent l’humanité ? Pourquoi simplement reconduire une politique qui n’a pas, pendant 20 ans, permis de diminuer la faim dans le monde, qui n’a pas répondu à l’existence de l’extrême pauvreté, qui n’a pas freiné la dégradation catastrophique de notre environnement ? Pourquoi se limiter à une déclaration truffée de bonnes intentions, mais absolument gratuites dans la mesure où il n’y a pas la moindre décision concrète et contraignante ?

            La raison en est simple. Les maux que l’on affirme vouloir combattre sont les conséquences nécessaires du système économique et politique qui domine la planète, le capitalisme. Ce système a basé sa survie sur l’exploitation des pays du Sud au travers de la dette, de l’échange inégal, aujourd’hui par l’accaparement des terres, la culture des agro-carburants, la spéculation sur les matières premières. Il a aussi basé sa survie sur une croissance forcenée qui détruit les équilibres écologiques. Le meilleur remède qui permet de guérir, c’est celui qui s’attaque aux causes de la maladie. Dans le cas présent, c’est de s’attaquer au capitalisme.

            Mais peut-on attendre de ceux qui gouvernent le monde qu’ils s’attaquent au capitalisme, dont ils sont les représentants ? Donc ils jouent aux aveugles, et surtout ils veulent rendre les populations aveugles pour maintenir leur pouvoir.

            RIO+20 se résume ainsi à une opération idéologique, mais la ficelle est un peu grosse, et la conscience que rien n’est fait pour répondre à des menaces qui pèsent sur le futur de l’humanité ne peut que se développer.

 

Michel Ducommun