Asile et migration, de Charybde en Scylla

Les Chambres fédérales viennent d’adopter un certain nombre de nouveaux durcissements dans le domaine
de l’asile.

Ce premier volet comprend la suppression de la procédure d’asile en ambassade, l’abandon de la désertion et du refus de servir comme motif d’asile, la possibilité de placer des demandeurs·euses d’asile dits « récalcitrants » dans des centres spéciaux et l’autorisation donnée au Conseil fédéral de s’écarter des lois en vigueur afin de procéder à des « tests » dans le traitement des demandes d’asile pendant une période allant jusqu’à deux ans. Cette dernière disposition permettra en particulier de réduire à 10 jours (au lieu de 30 jours à l’heure actuelle) le délai de recours dans certains cas.

Par le biais de la procédure d’urgence, ces mesures sont d’ores et déjà en force. Un deuxième volet de la révision de la Loi sur l’asile (LAsi) doit encore faire l’objet d’un vote final lors de la session parlementaire de décembre 2012. À ce sujet un certain nombre de divergences entre les deux Chambres subsistent. Un troisième volet de la révision devrait voir le jour en 2013 dans le but « d’accélérer » la procédure d’asile.

 

Simonetta Sommaruga et Christian Levrat, main dans la main!

La conseillère fédérale socialiste, en charge du dossier de l’asile, et le président du Parti socialiste (PSS) tirent à la même corde, celle qui étrangle encore un peu plus le droit d’asile, réduit déjà à une peau de chagrin. Christian Levrat explique, dans un journal dominical, «qu’il ne faut pas ouvrir un boulevard à l’UDC pour bluffer» en lançant un référendum contre le paquet de mesures adoptées. Ce boulevard, il a lui-même contribué à l’élargir, ce qui avait du reste amené les Jeunesses socialistes suisses à poser publiquement la question, début janvier 2012 : «L’UDC, avec sa politique hostile aux étrangers menée depuis des années, a-t-elle réussi à embarquer le PS sur le même bateau?».

La tartufferie des propos du président du PSS ressort sans fard lorsqu’il déclare, dans ce même interview, qu’il «voit d’un bon oeil les phases de test prévues dans le nouveau texte: Au plan légal, des phases de test sont très ambiguës, mais elles sont admissibles au niveau pragmatique et peuvent même, qui sait, offrir des ouvertures». Amnesty International lui répond, à juste titre, que «d’une durée de deux ans, ces procédures tests permettront de raccourcir le délai de recours de 30 à 10 jours, ce qui est très problématique lorsque l’on doit se procurer des moyens de preuve dans le pays d’origine». Mais surtout «la nouvelle réglementation ne précise pas non plus à quelles dispositions de la loi l’ODM [Office fédéral des migrations] pourrait déroger pour ces «phases de procédures test». C’est donc presque un chèque en blanc qui est donné à l’administration fédérale, au mépris du principe de la légalité». Il est vrai que la défense des droits fondamentaux des migrant·e·s n’est pas la tasse de thé de la direction du PSS !

 

Lancer ou non un référendum contre le premier volet?

Cette question suscite la controverse dans les organisations de défense du droit d’asile et des droits des migrant·e·s. Le lancement d’un référendum ne paraît pas constituer une étape utile, dans le cadre d’une stratégie de lutte déterminée, immédiate et à moyen terme, contre toutes les attaques aux droits de migrant·e·s, en matière d’asile comme – plus généralement – de droits et de conditions de séjour pour les étrangers·ères. D’abord, parce que le saucissonnage en trois volets des nouveaux démantèlements du droit d’asile impliquerait le lancement de trois référendums successifs (3 × 50 000 signatures validées !), ce qui ne manquera pas d’épuiser les personnes engagées dans cette bataille. Ensuite, parce que cet engagement, dans l’hypothèse extrêmement peu probable (hélas !) où il aboutirait à faire échouer en votation les trois nouveaux volets, particulièrement indignes, de ce démantèlement, ne conduirait qu’à conserver un statu quo. La LAsi est en révision quasi constante depuis son entrée en vigueur en 1981. Les révisions successives ont introduit des mesures toujours plus restrictives pour soi-disant assurer une protection aux « vrais » réfugié·e·s, en éliminant de la procédure d’asile les réfugié·e·s dits économiques et les prétendus délinquant·e·s.

Ainsi, force est de constater que la LAsi vise aujourd’hui moins à protéger les droits de ceux et celles qui cherchent un asile en Suisse qu’à décourager et à exclure les requérant·e·s d’asile par des mesures arbitraires et brutales, en multipliant à l’envi les obstacles. Cette politique s’est avérée par ailleurs jusqu’ici inefficace et coûteuse ! Peu importe… elle permet à une grande partie de l’establishment politique helvétique, sous la houlette de l’UDC, d’agiter le chiffon de la xénophobie et du fantasme de la criminalité « étrangère ». La récente annonce par l’UDC du lancement d’une initiative populaire pour la mise en place de véritables « camps » fermés, dans lesquels seraient détenus les requérant·e·s d’asile pendant la procédure, est un pas de plus dans cette effrayante escalade.

S’y opposer pied à pied implique de combiner des actions concrètes, sur le terrain, en lien avec les migrant·e·s concerné·e·s – comme l’occupation symbolique, fin septembre, du centre de détention administrative de Frambois près de Genève, accompagnée du lancement du « Manifeste pour la fermeture des prisons de la honte » (pour signer : www.stop-dead.ch) – avec des initiatives, sur le plan politique, à contre-courant, allant dans le sens de l’affirmation de l’égalité des droits et le respect des droits fondamentaux des migrant·e·s.

 

Jean-Michel Dolivo