Procès politique des droits syndicaux

Dans un arrêt du 24 septembre 2012 relatif au recours de secrétaires syndicaux d’Unia accusés de violation de domicile pour avoir distribué aux employé·e·s des informations syndicales sur le parking d’un restaurant de Philippe Chevrier, le Tribunal fédéral a estimé que les syndicats n’avaient, en dehors de conflits collectifs, pas de droit d’accès à une entreprise. Ce faisant, le Tribunal fédéral a confirmé les peines infligées aux syndicalistes, reconnaissant que leur activité était un délit pénalement répréhensible.

Selon les juges de la Cour de droit pénal, «la liberté syndicale ne saurait déployer un effet direct et immédiat à l’encontre du propriétaire au point de faire passer au second plan son droit de propriété».

Jamais jusqu’à présent la question du droit d’accès des syndicats aux lieux de travail n’avait été tranchée au niveau fédéral. La jurisprudence ainsi créée par le Tribunal fédéral représente une véritable sanction contre les droits et les pratiques syndicales observées jusqu’ici. 

 

Le Tribunal fédéral au service des employeurs

En faisant primer le droit de propriété sur le droit à la liberté syndicale, les juges du Tribunal fédéral ont rendu un verdict éminemment politique, faisant le procès des droits syndicaux. Dans ce cadre, la composition de la Cour (deux juges UDC, un PBD, un PDC et un Vert) n’est pas étrangère au résultat.

C’est ainsi que les juges ont sanctifié le droit de propriété : « Le propriétaire d’une entreprise dispose lui-même de la garantie de la propriété. Il est ainsi libre de déterminer à qui il entend donner accès à son entreprise. »

 

Un jugement lourd de conséquences

Libres de déterminer quel syndicat peut diffuser de l’information dans l’entreprise, les patrons sont aussi libres de licencier qui ils souhaitent, y compris des militant·e·s syndicaux, risquant au maximum le versement d’une indemnité pour licenciement abusif équivalente à six mois de salaire. Ces dernières années, les licenciements antisyndicaux se sont d’ailleurs multipliés. Sommée par l’Organisation internationale du travail (OIT) de revoir sa législation reconnue comme non compatible avec les Conventions de l’OIT sur les libertés syndicales, le gouvernement suisse met les pieds au mur depuis des années, protégeant le sacro-saint droit patronal à la liberté économique (y compris lorsque cette dernière se moque des droits fondamentaux de la majorité de la population).

La paix du travail en Suisse, dont certains fêtent les 75 ans cette année, ne s’est pas seulement construite autour de capitulations syndicales, mais également avec un Etat bourgeois qui a implacablement restreint les droits des salarié·e·s et des syndicats.

Dorénavant, pour les syndicats, l’accès aux entreprises dépendra encore plus de la bonne volonté exclusive des employeurs. Les recours à la police pour chasser les syndicalistes, pratique qui a eu tendance à se multiplier, deviendront-ils la norme ?

Une chose est certaine, sans possibilité d’accéder aux entreprises, avec des employé·e·s ne bénéficiant d’aucune protection contre les licenciements, le jugement du Tribunal fédéral ne pourra que favoriser les risques de sous-enchère salariale et les abus patronaux. 

 

Mesures d’accompagnement quand tu nous tiens…

Alors que les autorités politiques ne cessent de vanter les vertus du partenariat social pour ne pas avoir à légiférer en faveur des salarié·e·s, alors que tout le système des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes repose sur la possibilité des syndicats d’être des acteurs de poids, la décision du Tribunal fédéral revient à priver le déjà maigre dispositif des mesures d’accompagnement de toute substance. L’arrêt du Tribunal fédéral est en contradiction complète avec le rôle théorique que doivent assumer les syndicats dans la lutte contre la sous-enchère salariale, notamment au travers des commissions tripartites. Alors que les syndicats revendiquaient leur droit de contrôler le marché du travail, les voilà, avec cette décision, rendus encore un peu plus impuissants, réduits à occuper les strapontins des commissions tripartites, invités à prendre la parole uniquement pour vanter les vertus du système helvétique…

 

Pour plus de libertés syndicales!

Pour toutes ces raisons, le syndicat Unia réfléchit en ce moment à un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Une plainte auprès de l’Organisation internationale du travail est également envisagée.

Au-delà des recours, il importe également de lancer d’urgence le débat autour d’un nécessaire renforcement des droits des salarié·e·s de ce pays.

Face à la multiplication des abus patronaux, aux plans de restructuration dans des secteurs comme l’industrie, il importe de conférer aux organisations syndicales les moyens de faire respecter les droits des salarié·e·s et en premier lieu de leur garantir l’accès aux lieux de travail. Mais il importe aussi de réfléchir plus largement sur la protection des délégué·e·s syndicaux dans les entreprises ainsi que sur de véritables droits pour l’ensemble des salarié·e·s en cas de licenciement collectif.

 

Jean Masci