Loi sur l'avortement en Espagne

Loi sur l'avortement en Espagne : Le grand bond en arrière

Juan Tortosa s’est entretenu pour notre rédaction avec Justa Montero Corominas, membre de la Coordination nationale des organisations féministes dans l’Etat espagnol, à propos des attaques frontales au droit à l’avortement dans un Etat en crise.


La loi en vigueur, votée en 2010, permet à toute femme d’avorter jusqu’à 14 semaines (22 en cas de graves malformations du fœtus ou de risque pour la santé de la mère). Quelles sont les intentions du ministre de la justice Alberto Ruiz-Gallardon (Partido Popular), l’auteur du projet de réforme?

 

En juin 2012, le ministre de la Justice a affirmé au Parlement que son intention était de «protéger le droit par excellence des femmes, celui d’être mères». Ces déclarations ont suscité toutes les alarmes.

Même si l’on ne connaît pas le contenu exact de la « contre-réforme » gouvernementale, nous savons qu’elle veut éliminer les deux changements les plus importants introduits par la loi de 2010 : le droit à avorter sur simple demande dans un délai de 14 semaines?; la possibilité pour les jeunes femmes de 16 à 18 ans d’avorter sans l’autorisation de leurs parents.

En juillet dernier, la volonté de supprimer la dépénalisation de l’avortement en cas de risque supposé de malformation du fœtus a été rendue publique. Une mesure d’une cruauté telle qu’elle a suscité un rejet généralisé, y compris dans le secteur médical et spécialisé. Si cette volonté devait se concrétiser, l’avortement ne serait autorisé qu’en cas de risques pour la santé des femmes, compris dans le sens le plus biologiste et restrictif du concept de santé, c’est-à-dire de la santé physique. 

 

 

En Espagne, l’avortement n’est véritablement devenu un droit qu’en 2010. Doit-on craindre un retour en arrière qui replongerait dans une situation de clandestinité les femmes souhaitant avorter, dans les conditions extrêmement précaires et dangereuses pour la santé que cela implique?

 

Avant de répondre à cette question, je voudrais clarifier le fait que la loi de 2010 ne reconnaît que partiellement le droit à l’avortement, seulement pour les 14 premières semaines et avec des clauses contraignantes, tout en maintenant la qualification de l’avortement comme un délit. Des limites très fortement critiquées par le mouvement féministe.

Aujourd’hui, le gouvernement veut un retour à l’avortement clandestin, parce que l’avortement sera considéré comme un délit régi par le Code pénal et que ça augmentera le nombre de cas où l’on pourra infliger des peines de prison aux femmes qui avortent, ainsi qu’aux professionnel·le·s de la santé qui les y auront aidés. C’est une attaque en règle contre le droit des femmes à décider de leur maternité et de leur vie, et c’est clairement une injustice sociale. Si nous nous référons à la situation antérieure à 1985, nous savons que la restriction du droit à l’avortement n’évite pas les avortements : elle les criminalise et les rend clandestins.

Cette hypocrisie sociale engendre des inégalités impressionnantes, parce que les femmes des milieux favorisés se rendront dans d’autres pays pour avorter, tandis que celles des milieux défavorisés auront recours à des méthodes artisanales ou à des médicaments achetés sur le marché noir, avec les risques que cela comporte pour leur santé et leur vie. Sans même parler des femmes immigrées, « sans papiers », auxquelles le gouvernement vient de retirer la carte sanitaire de la sécurité sociale.

Quel rôle a joué l’Eglise dans cette période de crise qui voit une montée des idées conservatrices ?

 

La hiérarchie de l’Eglise catholique a toujours manifesté de manière très active une opposition féroce au droit des femmes à décider. Ce n’est pas nouveau, cette hiérarchie a toujours voulu conditionner les politiques publiques concernant les femmes, en tentant d’imposer sa morale sexuelle particulière à toute la population (morale dont se différencient de nombreuses et de nombreux catholiques). Mais ce qui est nouveau, c’est qu’après 27 ans, depuis la dépénalisation partielle de l’avortement, un ministre de la Justice se fasse l’écho des positions les plus fondamentalistes défendues par l’Eglise catholique et tente de légiférer conformément aux prêches particuliers de cette Eglise dans un Etat qui se déclare aconfessionnel.

Il est très intéressant et alarmant de voir comment le fondamentalisme religieux et le fondamentalisme du marché se donnent la main dans ce contexte de crise. Ils s’accordent pour prôner un changement de société radicalement régressif, où les droits disparaissent, l’Etat cesse de satisfaire les besoins élémentaires des gens et déplace cette responsabilité sur les familles et à l’intérieur des familles sur les femmes. Raison pour laquelle le contrôle du corps des femmes occupe à nouveau une place primordiale dans des propositions telles que celles formulées par le ministre de la Justice.

 

 

Cet été, des centaines de personnes ont manifesté pour le droit à l’avortement à Madrid. Selon les sondages, la majorité de la population est opposée à la réforme souhaitée. Est-ce qu’un mouvement de plus grande ampleur semble se dessiner pour combattre la réforme voulue par la droite?

 

De grandes préoccupations s’expriment fortement dans le pays et l’indignation gronde. Nous espérons que ça se traduira par une forte contestation des plans gouvernementaux. Nous y travaillons.

On a créé des plateformes de défense du droit des femmes à décider, lesquelles regroupent des organisations féministes et différentes organisations sociales dans de nombreuses villes. L’automne sera très « chaud », parce que la situation engendrée par les coupes budgétaires et la politique néo-libérale devient insupportable. Nous n’allons pas nous laisser arracher les droits que les femmes ont acquis si chèrement après de nombreuses années de lutte.

 

Propos recueillis par Juan Tortosa

Traduction : Hans-Peter Renk