Marché des crédits carbone bidon

Marché des crédits carbone bidon : Un champ de ruines

Une chose fond plus vite que les glaces arctiques, c’est la crédibilité du système de commerce de crédits carbone mis sur pied dans le cadre des accords de Kyoto pour contrer le changement climatique.

 Un groupe d’experts de l’ONU affirmait le 10 septembre que « les marchés globaux du carbone s’effondrent avec des conséquences potentiellement dévastatrices ». L’une de ses membres Joan Naughton déclarait au Guardian que « Le marché du carbone est profondément affaibli » et The Economist décrivait celui-ci comme « un champ de ruines ».

Le rapport dit que le prix des crédits carbone émis dans le cadre du Mécanisme de développement propre (MDP) de l’ONU a chuté de 70 % en un an. Ces crédits se vendent à 3 dollars contre 20 en 2008.

Le MDP permet aux entreprises des pays riches d’acheter des crédits de compensation carbone venant de projets de réduction d’émissions au Sud. L’ONU supervise le processus émettant des crédits MDP pour chaque tonne d’émission de CO2 qu’il déclare avoir été évité. Des entreprises des pays riches participant à ce système peuvent acheter les compensations MDP pour atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions.

 

Une offre pléthorique

Mais ce marché s’effondre car il y a bien plus de crédits de compensations CDM à vendre que d’acheteurs. Des entreprises européennes ont été les principaux acheteurs de ces crédits, mais le marché européen des crédits carbone s’est planté du fait de l’énorme surallocation de crédits gratuits à l’industrie. Celle-ci, combinée aux difficultés économiques européennes, signifie que les gros pollueurs européens n’ont guère besoin d’acheter des crédits pour atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions […]

L’offre excédentaire est en train de saper un autre mécanisme de marché climatique mis en place par l’ONU. Kyoto permet aux pays émettant moins que leur quota de vendre leurs droits à polluer excédentaires sur les marchés. Mais ces crédits, que l’ONU appelle des unités de quantités attribuées (UQA), sont si excédentaires qu’ils se vendent aujourd’hui moins d’un euro la tonne.

Un rapport par l’agence d’infos spécialisée Point Carbon parlait d’un surplus global d’UQA de 13.1 milliards de tonnes généré entre 2008 et 2012. Ce surplus pourrait dépasser les 17 milliards de tonnes en 2020. Anja Kollmuss de CDM-Watch déclarait à Inter Press que «l’offre dépasse trois fois la demande.?»

 

Des crédits bidons

La plupart de ces crédits excédentaires sont bidons. Russie, Ukraine et Pologne en détiennent la majorité. La désindustrialisation de ces pays après la chute du bloc soviétique signifie en effet que leurs émissions sont plus basses qu’en 1990, année de base pour le protocole de Kyoto. La crise économique qui a conduit à une baisse des émissions européennes a produit encore plus de crédits bidon.

Cette offre excédentaire signifie que le mécanisme de commerce de crédits carbone mis en place par Kyoto permet à bon marché aux compagnies d’augmenter leur pollution: pas vraiment un encouragement à basculer vers des technologies à zéro émissions!

Dans ce champ de ruines du système, Christina Figueres, qui à l’ONU en est la principale responsable, est décidée à faire croire que tout va bien. Dans un communiqué du 7 septembre elle saluait le milliardième crédit carbone émis depuis 2005, déclarant que : « Cette étape excitante témoigne de l’usage croissant du MDP. »

Bien sûr, cet « usage croissant » de compensations MDP a conduit à la crise de l’offre excédentaire et la taille du marché ne dit rien sur son intégrité. Or la plupart de ce milliard de crédits carbone est bidon et ne représente aucune réduction d’émissions.

Selon le New York Times du 9 août, 46 % des crédits MDP venaient de 19 compagnies seulement, qui ont détruit un gaz industriel, le HFC 23, sous-produit de la fabrication de gaz utilisés dans les réfrigérateurs, avec un potentiel de réchauffement du climat 11 000 fois celui du CO2.

Voyant qu’elles pouvaient y gagner des millions, ces compagnies ont massivement augmenté leur production de gaz réfrigérant (lui-même à fort effet de serre) pour pouvoir être payés pour la destruction du HFC 23 qui en est un sous-produit.

 

Encouragement à polluer et chantage climatique

Ainsi, le MDP n’a pas juste encouragé ces compagnies à gonfler leur pollution, il l’a fait à un prix élevé. […] L’UE dit que dès l’an prochain elle bannira les compensations en ce qui concerne les gaz industriels de son mécanisme […] Mais l’ONU va probablement continuer à accréditer ces compensations bidon. En effet, des fabricants chinois ont menacé de relâcher ces gaz dans l’atmosphère, s’ils n’étaient plus payés pour le détruire.

Mais les problèmes concernant l’intégrité des MDP vont au-delà. Une enquête parue le 10 septembre dans le Daily News & Analysis indien indique que : « Plusieurs projets dans ce pays, qui rapportent des sommes énormes par la vente des crédits carbones, sont en fait inéligibles, leurs promoteurs ont manipulé et antidaté des documents pour remplir les conditions fixées... »

L’entité indienne responsable de l’approbation des propositions dans le cadre du MDP et de leur soumission aux instances internationales « approuve couramment des propositions MDP sans aucune vérification sur le terrain pour savoir s’ils correspondent aux critères d’éligibilité. »

En théorie, pour être accrédité, un projet MDP doit prouver qu’il réduit des émissions et que ces réductions sont additionnelles et ne se seraient pas produites de toute façon. Or une dépêche de juillet 2008 du consulat US à Mumbai, révélée par Wikileaks, indiquait que « Les dirigeants des grandes compagnies indiennes concèdent qu’aucun projet indien ne pourra remplir le critère d’additionnalité d’investissements nécessaire pour être éligible pour des crédits carbone MDP. » Ceci n’a pas empêché le Conseil exécutif onusien du MDP d’approuver 348 projets indiens en 2008. Aujourd’hui, il y en a 827 ! […]

 

Simon Butler

Traduction de l’anglais de notre rédaction. Cet article est paru dans « Green Left Weekly », 20 septembre 2012