Un procès antisyndical dans le nord vaudois

Un syndicaliste d’UNIA, Pierre-André Charrière, a été condamné pour diffamation par le Tribunal du Nord vaudois. Une plainte avait été déposée contre lui par l’entreprise de sandwicherie et de pizzas industrielles Barbey SA, suite à une grève des employé·e·s.

Dans le courant 2009, plusieurs sala-rié·e·s de l’entreprise s’adressent à UNIA, en dénonçant notamment les tricheries de l’entreprise sur la timbreuse, par la suite confirmées dans plusieurs jugements du Tribunal de prud’hommes. Après enquête, Pierre–André Charrière découvre non seulement que les accusations des salarié·e·s sont exactes, mais aussi que la direction viole la loi sur de nombreux autres points, rendant les conditions de travail dans l’entreprise proprement inadmissibles, avec en particulier des pressions permanentes sur les salarié·e·s, de nombreuses heures de travail non payées, le recours fréquent et illégal au travail de nuit.

Suite à une assemblée syndicale, deux employés sont brutalement licenciés et la direction appelle même les gendarmes pour contraindre l’un deux à quitter son poste de travail sur le champ. Comme l’a souligné un ancien employé durant l’audience : «j’ai constaté des choses incroyables dans cette entreprise. Les employées du service de production étaient insultées, on refusait des congés aux employés. On a même refusé à une employée de rentrer chez elle un soir à 21 heures alors que sa fille était malade et qu’elle était dans l’entreprise depuis 6 heures du matin.?»

Par la suite, une grève de trois jours permet de mettre fin pour partie aux pratiques scandaleuses de la direction. Comme l’a souligné une autre ancienne salariée lors du procès : «J’estime que sans cette grève, il ne se serait rien passé. Je sais que l’inspection du travail a fait un rapport sur l’entreprise, mais je ne crois pas que ce rapport ait pu avoir un quelconque effet. Notre chef de production nous parlait sèchement et était un peu grossier, il nous reprochait de ne pas être assez productifs. Mais il a changé d’attitude après la grève».

 

«Les salariés sont des esclaves»

Lors de la grève, Pierre-André Charrière s’est adressé aux salarié·e·s pour dénoncer les pratiques de Barbey. Le quotidien 24 Heures relaie notamment les propos suivants du syndicaliste : «on ne compte plus les violations de la loi sur le travail. La situation est particulièrement pénible depuis deux ans. Les salariés sont des esclaves. S’ils se plaignent, ils sont licenciés ou menacés de représailles».

L’entreprise porte alors plainte pour diffamation et calomnie. Le Ministère public vaudois retient, dans une ordonnance pénale, l’accusation de diffamation, et condamne Pierre-André Charrière à une peine de 30 jours-amende, lui refusant le droit de faire la preuve de la vérité sur les propos qu’il avait tenus. Pour justifier le caractère diffamatoire des propos du syndicaliste, le Ministère public sort, par exemple, le terme d’«esclaves» de son contexte, alors que celui-ci désigne, de façon imagée dans le langage courant, au sens du dictionnaire Larousse, «une personne soumise à un pouvoir arbitraire» : un sens absolument adapté pour qualifier la situation des salarié·e·s de Barbey. En outre, le Ministère public fait fi des motifs d’intérêt public qui ont conduit le syndicaliste à tenir ces propos : l’exigence de respect des droits des salarié·e·s.

Suite à une opposition, le Tribunal de police du Nord vaudois a admis le droit du syndicaliste à faire la preuve de la vérité sur les accusations qu’il avait portées. Les tricheries à la timbreuse, le non-paiement d’heures supplémentaires ainsi que les nombreuses violations de la Loi sur le travail ont pu être établies. Le Tribunal a toutefois condamné le syndicaliste pour diffamation, soit pour avoir dit que «les salariés sont des esclaves et que, s’ils se plaignent, ils sont licenciés ou menacées de représailles». Pierre-André Charrière, dont l’avocat a plaidé l’acquittement lors de l’audience, a annoncé son intention de faire appel, bien décidé à ne pas accepter ce jugement qui crée un dangereux précédent en criminalisant l’activité syndicale.

 

Hadrien Buclin