Entretien avec le collectif des éditions entremonde à Genève

Entretien avec le collectif des éditions entremonde à Genève : «Restaurer la puissance d'analyse d'un Marx libéré du marxisme»

Alors que le colloque « Penser l’émancipation » qui va se tenir à l’Université de Lausanne, du 25 au 27 octobre, entend relancer le débat et favoriser les échanges entre les théories de l’émancipation humaine, en ce début du 21e siècle, notre rédaction s’est entretenue avec le collectif des éditions Entremonde à Genève, qui s’est spécialisée dans la publication des communistes de gauche et des anarchistes. Nous appelons nos lecteurs-trices à soutenir sa démarche, d’abord en achetant ses livres, mais surtout en les lisant et en les discutant. (JB)

 

Quand sont nées les éditions Entremonde? Pouvez-nous nous en dire plus sur l’origine de votre projet et la trajectoire des personnes qui l’ont porté jusqu’ici?

Le projet a vu le jour en 2008 et le premier titre a été publié début 2009. Nous ressentions la nécessité d’une élaboration théorique et critique dans le paysage militant romand relativement pauvre en la matière. Venant pour la plupart de l’activisme, nous avions besoin d’ancrer nos pratiques. Nous étions attachés à une certaine tradition du mouvement ouvrier telle que les Gauches communistes en Allemagne et en Italie ou l’anarchisme, et nous ne trouvions pas totalement notre compte dans l’offre en librairie. Force était de constater une certaine lacune dans l’édition francophone. Encouragés par le foisonnement de nouvelles maisons d’édition indépendantes en France, nous avons décidé d’y participer à notre manière, de façon très artisanale et modeste.

 

Vous avez publié essentiellement des libertaires, des communistes de gauche et des opéraistes italiens. Ceci donne une idée de vos affinités idéologiques. Pouvez-vous nous expliquer ce choix?

Au-delà des étiquettes idéologiques, ce qui nous a guidés dans les choix éditoriaux c’est le besoin de produire une pensée critique en rupture des schémas dominants dans la théorie de la révolution jusqu’à présent, et cela tant dans les traditions anarchistes que marxistes, notamment sur les questions qu’a apportée la montée en puissance de la classe du travail dans les périodes précédentes; réforme ou révolution ? Intégration ou rupture ? Révolution comme affirmation de la classe ou comme négation de toutes les classes ?

Plus que des réponses, nous voulons surtout apporter des nouvelles façons de questionner en nous émancipant au maximum du poids des idéologies, retrouver par exemple la puissance d’analyse d’un Marx libéré du marxisme.

 

Ne trouvez-vous pas que nous sommes dans une période où la ligne essentielle de démarcation passe entre ceux qui entendent aménager le capitalisme pour le rendre «plus supportable» et ceux qui défendent une alternative sociale émancipatrice, en rupture avec le capitalisme, et qu’il faut favoriser un débat sans exclusives entre ces derniers?

C’est clair que c’est le débat qui fait avancer la théorie et il faut la faire avancer, surtout dans le cycle de luttes actuelles où ceux qui veulent rendre le capitalisme « plus supportable » n’ont plus grand-chose à offrir. Au moment de la faillite générale de l’État providence, parler de révolution devient plus réaliste que parler de réforme. Or, il faut aussi pouvoir dépasser l’alternative et le programmatisme du vieux mouvement ouvrier en accentuant la perspective de l’abolition des classes. On ne sait pas à quoi ressemblera la société après la révolution, mais on sait en tout cas de quoi on veut se débarrasser : de l’argent, du salariat, de l’État, du patriarcat, etc.

 

Comment vous situez-vous, en tant qu’éditeurs anticapitalistes, contraints de vendre vos livres, de signer des contrats avec des distributeurs, de faire la course aux subventions? Comment concevez-vous la possibilité de mener une activité aussi lourde, largement bénévole, à côté d’un gagne-pain qui vous permette de vivre?

Ce sont évidemment les côtés moins sympathiques de notre travail. Cela ne nous pose pourtant pas un problème d’ordre moral car même en tant qu’anticapitaliste, on ne peut échapper au capitalisme. Il n’y a pas de bonne vie dans la mauvaise, comme disait Adorno. Créer des « alternatives » est une perte de temps car le Capital finira par les intégrer, les exemples ne manquant d’ailleurs pas. En ce qui concerne notre activité d’éditeurs, c’est vrai que ce n’est pas toujours facile de fonctionner de cette manière-là. Pour se débrouiller, on essaie de vivre plus ou moins modestement afin de fuir le travail salarié tant qu’on peut.

 

Avez-vous encore le temps de participer aux luttes sociales sur lesquelles vous diffusez des analyses et des réflexions?

Oui, encore faut-il voir de quelles luttes nous parlons… car il y a des façons d’agir qui paralysent. Les gens qui participent aux éditions en France, par exemple, se retrouvent à participer à beaucoup plus de luttes que nous ici. C’est une question de conjoncture. On peut dire de manière générale qu’en période de paix sociale, notre rôle n’est guère différent des autres exploité·e·s. Nous participons aux luttes quand il y en a.

 

Quels sont vos principaux objectifs à court et moyen terme?

Pouvoir pérenniser le projet : comme nous n’avons jamais eu de capital lors du lancement, nous avons dû l’accumuler sur notre travail bénévole durant ces quatre années. L’idéal à terme serait de pouvoir rétribuer correctement les gens qui travaillent à la publication des livres. Le chemin est cependant encore long. Sinon, un autre objectif à court terme est évidemment la révolution qui réglerait de facto le problème. En attendant, vous pouvez soutenir l’association Entremonde en versant vos dons sur le CCP 10-145037-2.