La lente émancipation de l'Amérique latine face aux Etats-Unis

A quelques semaines de l’élection présidentielle américaine, l’heure est au bilan de la politique du président sortant, Barack Obama. L’organe officiel du parti communiste cubain, « Granma », dont nous reproduisons un article ci-dessous, revient sur la politique de ce dernier en Amérique latine. L’auteure souligne que, si de lentes évolutions sont à l’œuvre en vue d’une plus grande indépendance du continent sud-américain, les relations entre Washington et son « arrière-cour » traditionnelle sont encore loin d’être égalitaires. (Réd.)

En 2009, peu après son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama nous avait gratifié d’un beau numéro d’illusionniste au 5e Sommet des Amériques, à Trinité-et-Tobago. Rappelez-vous, il avait serré la main d’Hugo Chávez et tenu des propos des plus inédits. Il était temps, avait-il déclaré, de mettre en place des relations d’égal à égal. «?Nous avons parfois essayé d’imposer nos conditions, avait-il reconnu humblement. Nous pouvons nous tromper, c’est le propre de l’être humain.?» Il avait également parlé d’engager la relation entre les Etats-Unis et Cuba dans « une nouvelle direction ».

Aujourd’hui nous savons que ce n’était qu’un tour de passe-passe. Si le discours est certes plus intelligent que celui de son prédécesseur George W. Bush, la rhétorique reste la même.

 

Des intrusions constantes

 

Les Etats-Unis ont soutenu le coup d’Etat au Honduras, continuent à financer l’opposition au Venezuela et l’embargo contre Cuba reste intact. Je m’arrête car la liste est longue.

La politique de la Maison-Blanche est toujours la même : essayer de détruire ou de ralentir tous les processus de concertation politique qui se développent sur le continent hors de leur volonté politique. Or, c’est de plus en plus difficile, et ce qui s’est passé au 6e Sommet des Amériques (en avril 2012 à Cartagena) en est un bon exemple.

Pour la première fois, l’Amérique latine s’est fait entendre. Obama est reparti la tête basse, et le scandale impliquant des agents des services secrets nord-américains et des prostituées, monté en épingle par les médias afin d’éclipser la véritable importance du sommet, n’y était pour rien. De grands journaux américains ont d’ailleurs reconnu ensuite que leur pays restait sur la défensive au sujet de Cuba.

Selon le Washington Post, « le blocus montre à quel point les Etats-Unis sont marginalisés. Alors qu’Obama avait promis une nouvelle relation avec ses voisins du Sud, la réalité n’est guère probante.?» Pour plusieurs commentateurs, Washington négligerait son « arrière-cour » pour prêter davantage attention au Moyen-Orient.

Pourtant, d’après Carlos Oliva Campos, professeur d’histoire à l’université de La Havane, « que la région ne soit plus la priorité de l’administration ne veut pas dire qu’elle a perdu sa place dans la matrice globale de la politique extérieure des Etats-Unis. Tout au long de leur histoire ou presque, nous avons servi de laboratoire à leurs politiques et de plate-forme pour leur diplomatie.?» Même si le Moyen-Orient, l’Asie et la Russie de Poutine sont prioritaires, la politique d’Obama concernant l’Amérique latine et les Caraïbes s’inscrit toujours dans la même continuité, affirme Carlos Oliva Campos.

 

Rôle croissant de l’Amérique latine

« Le sommet de Cartagena a marqué une rupture, parce que la région n’est plus la même. Aujourd’hui il y a un autre rapport de forces, très intéressant, du fait que les gauches sont plurielles et non plus seulement issues du socialisme, ce qui complique encore les relations avec les Etats-Unis. En outre, Washington n’est plus le seul acteur déterminant pour les marchés et le commerce de la région.?» Peut-on pour autant se montrer optimiste et dire que les Etats-Unis n’exercent plus la même influence en Amérique latine ? Joseph Tulchin, professeur au Centre d’études latino-américaines de l’université de Harvard, a déclaré par courriel à notre journal que « la question n’est pas de savoir si les Etats-Unis sont en perte d’influence. Ce qui est intéressant, c’est que plusieurs pays d’Amérique latine ont un rôle de premier plan à jouer sur la scène internationale et ne veulent plus de cette relation de fragilité et de dépendance face à l’hégémonie de Washington.?»

« Ce n’est peut-être pas la fin du système interaméricain, poursuit Carlos Oliva, mais les conditions de négociation ne sont plus les mêmes. Cuba fait partie du nouveau système latino-américain et caribéen, que les Etats-Unis le veuillent ou non.?»

Pour Mark Weisbrot, codirecteur du Centre de recherches économiques et politiques à Washington, « l’Amérique latine est aujourd’hui plus indépendante des Etats-Unis que ne l’est l’Europe, et cette indépendance ne cesse de croître. Ces changements s’expliquent notamment par l’échec du néolibéralisme. Et peut-être aussi par le fait que les habitants de la région ont porté au pouvoir des gouvernements de gauche, parce qu’ils le peuvent. Par le passé, les Etats-Unis ne laissaient pas de telles décisions se prendre de façon pacifique.?»

L’administration Obama n’a certes pas modifié l’attitude condescendante de Washington envers l’Amérique latine. Mais l’entente politique au sud du Rio Bravo est d’une autre tonalité, plus harmonieuse, et la Maison-Blanche devra l’accepter et s’y adapter.

 

Dalia González Delgado

Titres et intertitres de notre rédaction.