Disparition d'un écrivain engagé

 

L’écrivain Gaston Cherpillod est décédé à l’âge de 86 ans. Issu d’une famille modeste, il a suivi des études universitaires à Lausanne, à une époque où l’université était peu accessible aux jeunes issus des milieux populaires. Marqué par les espoirs de progrès sociaux de la Libération et par la victoire des troupes soviétiques sur le nazisme, il adhère au Parti du travail?; organisation qui lui paraît en outre être la seule à mener une lutte pacifiste dans le contexte de la guerre froide. 

Il sympathise par la suite avec la gauche radicale issue de Mai 68, et tient des propos très sévères contre la stalinisation du mouvement communiste, notamment dans son autobiographie, « Promotion Staline » (1970). Contrairement à ce qu’a affirmé un article de l’ATS, repris par « 24 Heures », « Le Courrier » et « Le Temps », Gaston Cherpillod n’était pas le « seul Romand à avoir mené de pair œuvre littéraire et engagement politique dans la gauche radicale » : son parcours croise au contraire celui d’autres écrivains engagés, tels Georges Haldas, Roger-Louis Junod, Bernard Liègme, Jacques Urbain, Jean-Pierre Schlunegger, Yves Velan, Walter Weideli ou encore Julia Chamorel. Même Jacques Chessex était membre du POP jusqu’en 1957. L’œuvre littéraire de Gaston Cherpillod est marquée par une grande sensibilité aux questions sociales, servie par une écriture poétique. L’année dernière encore, Gaston Cherpillod recevait une étudiante de l’université de Lausanne pour répondre à ses questions dans le cadre d’une recherche sur l’histoire de la gauche en Suisse romande. Nous en publions ici quelques extraits choisis (réd.)

 

Comment en êtes-vous arrivé à vous engager politiquement dans les années 1950?

J’avais vu de très près ce qu’était la condition prolétarienne, et je me disais : « Papa, il s’est saigné aux quatre veines pour que je devienne un clerc.?» Je le suis devenu, mais ça, je ne le souhaitais pas. C’était l’époque où on ne demandait pas leur avis aux moutards. J’entre au collège classique. Quelle terreur ! D’abord, on vous disait : « Vous » et « Monsieur ». Diable ! Moi, j’avais onze ans. Sans compter que j’avais aggravé mon cas en étant le premier ou le deuxième de la classe… Un fils de voyous à casquette qui se permet d’être plus brillant que les fils de la bourgeoisie, mais c’était scandaleux ! Alors, je puis dire que c’est par fidélité à mes origines ouvrières que j’ai voulu retrouver le peuple dont j’étais sorti. Le succès a été fort médiocre. D’abord, une partie des gens qui militait avec moi avait le complexe de l’anti-intellectuel, savamment cultivé, d’ailleurs, par les caciques du parti, lesquels étaient des clercs aussi ! Un parti politique qui se veut révolutionnaire, mais qui proscrit l’intelligence, il est condamné à mort.

J’ai adhéré au parti aussi parce que je me fichais absolument de l’esprit de carrière. Les miens n’en n’avaient jamais fait, je voyais pas pourquoi, moi, j’en ferais une, et puis je me disais : « Voyons, quel est le moyen le plus sûr pour ne pas faire carrière ? Ah ! Il faut rentrer chez les cocos.?» C’est ce que j’ai fait ! Et ça a marché. Le Département de l’instruction publique m’avait mis en demeure de choisir, en 1955. Il m’avait dit : « C’est ou l’enseignement, ou la politique.?» J’avais répondu noblement, n’est-ce pas : « Pour moi, les convictions passent avant le gagne-pain.?» Et bien, résultat, viré ! […]

 

Comment perceviez-vous la société de consommation qui prenait son essor à cette période?

Très tôt, je me suis rendu compte des pièges de l’ère de la consommation. Je me suis dit : « ouais, mais où va-t-on ? » Je ne veux pas dire que j’avais une conscience écologique, ce serait exagéré, flatteur. Mais disons que je m’approchais d’une prise de conscience de l’état de dégradation des bases de la vie, en me disant : « Satisfaire à ce qu’on considère comme les besoins prioritaires – et encore faut-il les définir – d’accord ! Mais, la course permanente à l’objet, c’est démentiel ! »

 

Après, sont arrivés les mouvements de 1968. Comment les avez-vous vécus?

Quand a éclaté le mouvement de mai, je me suis dit : « tiens, voilà des gens qui pensent politiquement comme moi, dans une large mesure. C’est merveilleux ! » Mais finalement, cela n’a rien donné, notamment parce que le Parti communiste était contre-révolutionnaire. D’ailleurs, il en est mort, parce que, lorsque, à deux reprises, en 1945 et en 1968, on peut prendre le pouvoir et qu’on ne le prend pas, qu’est-ce qui distingue un parti qui se veut révolutionnaire d’un autre ? Rien ! […] Et le peuple, pas plus con que ça, en a conclu qu’il ne fallait plus y croire, ce qui a jeté une partie de ce peuple dans les bras du fascisme de Le Pen ! Pas mal d’anciens électeurs du PC sont lepénistes aujourd’hui. Comme à Genève, où il y avait un puissant Parti du travail qui a représenté jusqu’à 40 % du corps électoral en 1945. Et maintenant, une bonne partie des gens qui votaient pour eux, votent, même pas UDC, mais MCG ! Et quand on voit Sommaruga qui reçoit les félicitations de l’UDC pour sa politique anti-immigrés… toute cette désorientation, ça en dit long sur la volatilité de ce que les ancêtres appelaient la conscience de classe. C’est pour ça que, si j’ai un conseil à donner à ceux qui veulent changer le monde, qui en a bien besoin, c’est d’acquérir, comme première vertu, l’humilité.

 

Avez-vous encore aujourd’hui l’espoir d’un monde meilleur?

Bien sûr : aujourd’hui, par exemple, s’il y a bien une classe sociale porteuse d’espérances, c’est la paysannerie ! Pas nos croquants de l’UDC, non, mais la paysannerie du Tiers-monde, dépossédée régulièrement par les transnationales. Lorsque cette paysannerie s’alliera avec d’autres secteurs dominés dans un vaste front populaire, et par-delà les chapelles partisanes, les choses pourront peut-être changer.