ASSOCIATION POUR L'ETUDE DE L'HISTOIRE DU MOUVEMENT OUVRIER (AEHMO)

ASSOCIATION POUR L'ETUDE DE L'HISTOIRE DU MOUVEMENT OUVRIER (AEHMO) : Un combat au présent

« solidaritéS 215 » faisait paraître un article de Charles Heimberg annonçant la parution d’« Histoire et Combats » de Marc Vuilleumier, regroupant ses contributions académiques, précédé d’une introduction sur les conditions du travail de l’historien du mouvement ouvrier durant 50 ans et sur son itinéraire intellectuel. De ces deux historiens, le plus jeune est l’actuel président de l’AEHMO, l’autre l’un de ses principaux initiateurs.

 

Dans les années 1968, Marc Vuilleumier participa à un groupe d’historiens décidés à combler le vide de documentation sur le mouvement ouvrier, en recensant des documents et en les publiant. Quatre volumes paraissent de 1968 à 1971, mais les divergences idéologiques entre les adhérents des partis de la gauche traditionnelle et les militant-e-s des nouvelles organisations d’extrême-gauche suspendent l’entreprise.

     En 1979, lors d’une exposition commémorant à Lausanne les cinquante ans du Cartel syndical vaudois, les commissaires éprouvent de la difficulté à réunir suffisamment de documents, faute d’une tradition d’archives chez les syndicats ou d’une préoccupation suffisante pour leur propre histoire. En 1980, cependant, ayant retrouvé quelques-uns des prédécesseurs de 1968, ils fondent l’AEHMO lors d’une réunion à la Maison du peuple. Convoquée par Roland Rapaz, l’assemblée constitutive représente une trentaine de personnes, lausannoises pour la plupart, militant·e·s syndicaux·ales et enseignant·e·s d’histoire.

 

Une activité éditoriale indispensable

Le successeur de Roland Rapaz à la présidence de l’AEHMO, Pierre Jeanneret, lance l’idée d’un cahier annuel. Dans son premier numéro qui sort en 1984, la contribution de Pierre Jeanneret porte significativement sur le dépôt d’archives établi au Département des manuscrits de la Bibliothèque universitaire de Lausanne-Dorigny. Le troisième président, Pierre Chessex, noue dès 1989 une collaboration avec les éditions d’en bas qui font imprimer la revue et la diffusent dans les librairies. Quant à Charles Heimberg, il propose de donner aux Cahiers un dossier thématique, tout en laissant la place aux chroniques ou témoignages traditionnels. Chaque numéro se termine par des comptes rendus d’ouvrages historiques. (L’index complet de tous les numéros des Cahiers se trouve sur le site www.aehmo.org).

     Parallèlement à cette activité d’édition, l’AEHMO organise des colloques et surtout récolte des archives qu’elle dépose à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, avec laquelle elle a signé une convention pour leur conservation et leur consultation pour les chercheurs.euses intéressés. Le site de l’AEHMO recense cette vingtaine de fonds et fournit des indications sur leur contenu et parfois des images. Les moyens sont cependant insuffisants pour la gestion de ces archives. D’où l’espoir de la création en Suisse romande d’un centre de documentation sur le modèle des Archives sociales suisses à Zurich, auxquelles vont les subventions fédérales. Une telle institution romande, bénéficiant d’un financement garanti par la Confédération ou les Cantons, amènerait des associations semblables à l’AEHMO à y déposer leurs fonds et créerait un lieu stimulant pour la recherche historique.

 

Pour une histoire à rebrousse-poil

L’histoire sociale est l’autre ambition de l’AEHMO car, si l’antagonisme est moins brutal qu’en 1968, il y a toujours deux récits divergents, celui qui valorise les aspirations de la bourgeoisie, celui plus prosaïque qui réévalue les faits dans leurs contextes événementiels. Le tout récent colloque organisé par le Centre patronal vaudois pour célébrer les 75 ans de la paix du travail en fournit un exemple. A cette occasion, la Conseillère d’Etat genevoise Isabel Rochat s’est exclamée « quel autre facteur que la paix du travail pourrait mieux incarner nos valeurs», ce qui « permet un fonctionnement sain de l’économie de marché», tandis que l’historien Bernard Degen déclarait « ce panachage de la paix du travail et de la prospérité est un mythe». Deux mois plus tôt l’AEHMO marquait aussi cet anniversaire, sortant le Cahier 28 dont le dossier thématique s’intitulait ironiquement « Des grèves au pays de la paix du travail» !

     L’histoire est aussi décisive pour contrer les affirmations dogmatiques que la société présente a aboli les différences de classes, qu’elle baigne dans une vaste classe moyenne que les partis sociaux-démocrates ou libéraux invoquent tour à tour pour justifier leurs choix politiques. Il n’y aurait dans la marge que des gens réduits à une précarité quasi fatale, dont certain·e·s se dénomment des indigné·e·s. Qui sont-ils·elles au juste, quelle formation et quels métiers, quels moyens et quelle origine ont-ils·elles ou alors les précaires riment-ils·elles dans l’anonymat avec les prolétaires du 19e siècle ? Enseigner les luttes prolétariennes, savoir leurs difficultés et leurs querelles internes, connaître leur opiniâtreté à se faire reconnaître, mesurer les résultats aujourd’hui contestés, paraît nécessaire pour structurer l’action politique, éviter le repli dans la peur et dénoncer les provocations des milieux fascisants.

 

Michel Busch

 

L’AEHMO tiendra son Assemblée générale annuelle le 24 novembre prochain
au Théâtre de Saint-Gervais à Genève. Abonnez-vous aux Cahiers et inscrivez-vous à l’Association.