Lutter contre deux maux à gauche

Lutter contre deux maux à gauche : L'islamophobie et l'orientalisme en retour (partie II)

Nous avons dans la première partie tente de montrer pourquoi et comment la lutte contre l’islamophobie est une cause importante pour la gauche radicale, malheureusement souvent mis de côté chez certain·e·s camardes, dans son combat pour une société égalitaire et émancipée contre le système capitaliste. Dans cette deuxième partie, nous voulons démontrer que la lutte contre l’islamophobie ne doit en aucun cas laisser la place à un «orientalisme en retour ou inversé» qui touche une certaine partie de la gauche radicale quand nous analysons le Moyen Orient et l’Afrique du Nord.

 

 

Le concept d’orientalisme en retour

L’orientalisme en retour est un concept développé par le marxiste syrien Sadiq Jalal al Azm en 1980 face à ce qu’il considère comme une ligne révisionniste de la pensée politique arabe qui a fait surface sous l’effet du processus révolutionnaire iranien après 1979. La thèse centrale de ce courant, lequel trouve à sa source un certain nombre d’intellectuels de gauche et nationalistes déçus, peut se résumer comme suit : « Le salut national tant recherché par les Arabes depuis l’occupation napoléonienne de l’Egypte ne se trouve ni dans le nationalisme laïc (que ce soit radical, conservateur ou libéral), ni dans le communisme révolutionnaire, le socialisme ou autre, mais un retour à l’authenticité de ce qu’ils appellent l’islam politique populaire».

 

     Ce courant a trouvé malheureusement des adeptes dans certains courants de la gauche en Europe également, certes minoritaires mais néanmoins présents. L’islam politique devient pour cette tendance un agent de modernisation et la religion islamique est la langue et la culture essentielle des peuples musulmans. Dans leur vision donc, l’Islam devient la force motrice de l’histoire en Orient, et non comme en Occident, les intérêts économiques, les luttes de classe et les forces sociopolitiques.

 

L’Islam politique et les processus révolutionnaires

Cette vision considère ainsi l’Islam politique comme des « anti-impérialistes » ou des « progressistes », et les comparaisons avec les mouvements de la théologie de la libération ont alors fleuri. Nous réfutons ces adjectifs dans leur totalité. Il faut bien sûr reconnaitre l’élément anti-impérialiste de certains mouvements luttant contre Israël, d’ailleurs mis à part Hamas et Hezbollah il est souvent rhétorique, mais cela ne suffit pas à les caractériser comme anti-impérialiste ou progressiste. Ils n’encouragent en effet pas de politiques visant à émanciper la société, tandis qu’ils ne s’opposent pas aux politiques néolibérales tout en s’opposant le plus souvent aux syndicats. La lutte contre les inégalités sociales et la pauvreté ne peut en aucun cas être combattue à travers la charité, élément qui caractérise ces mouvements, mais maintient au contraire les injustices sociales et ne remet pas en cause le système en place qui permet ce genre de maux. Les mouvements de l’Islam politique ont enfin tendance à promouvoir l’idée que la libération et le développement des pays arabes dépendent en premier lieu de l’affirmation de leur identité islamique, qui serait « permanente » et « éternelle » dans leur illusion, et non en luttant contre le capitalisme et l’impérialisme. D’autres questions peuvent être également débattues comme la lutte pour les droits de la femme, la lutte contre le communautarisme, quel Etat, etc.

     Il est certain que nous devons nous opposer aux discours islamophobes développés et entretenus par les élites et les médias de l’Occident contre les mouvements de l’Islam politique et s’opposer à la répression contre ces derniers lorsque c’est le cas dans certains pays. Cette position de principe ne doit par contre pas nous empêcher de soutenir et de lutter pour le changement radical dans les sociétés de la région. Il nous faut développer une analyse matérielle et de classe des dynamiques sociétales et de ces partis de l’Islam politique, lesquels comme nous pouvons le constater en Egypte et en Tunisie par exemple s’opposent à travers différents moyens à la continuation des processus révolutionnaires et au changement radical.

 

Les exemples de l’Egypte et de la Tunisie

L’Egypte et la Tunisie, ou les Frères musulmans (FM) sont au pouvoir, cherchent depuis le début de leur élection à renforcer ou à maintenir les liens diplomatiques, économiques et politiques de leurs Etats avec les puissances occidentales impérialistes. Ainsi, le gouvernement égyptien a reçu début septembre une délégation d’hommes d’affaires étasuniens pour encourager les investissements, alors que la contestation socio-économique est tenue à l’œil.

     La répression contre les grèves n’a en effet cessé d’augmenter avec l’arrivée du président Morsi, candidat des FM au pouvoir. De nombreuses lois et initiatives interdisant les grèves et manifestations de travailleur·euse·s ont été promulguées. Le nouveau régime tente de briser la volonté des travailleur·euse·s en grève, tandis que le ministère du travail travaille simultanément sur l’affaiblissement et la tentative de contrôler le mouvement syndical indépendant. Une peine de 3 ans a été prononcée contre 5 syndicalistes le 23 septembre par exemple, condamnation la plus sévère prononcée dans un tel cas depuis plus de 30 ans.

En Tunisie également, les luttes politiques et socio-économiques n’ont pas cessé, tandis que la répression contre les syndicalistes et autres activistes augmentaient de manière progressive.

     Les courants orientalistes et d’orientalisme en retour, qui voyaient pour des raisons différentes et opposées la religion comme le moteur de l’histoire dans cette région peuvent revoir leur copie, car les mots d’ordre de ces révolutions n’ont pas été « l’Islam est la Solution », mais bien « La révolution continue est la Solution » ou encore « Pain, Liberté et indépendance ».

     Les processus révolutionnaires au Moyen Orient et en Afrique du Nord ont ouvert une nouvelle page de luttes et d’émancipations, pas simplement au niveau régional, mais international également.  

 

Joseph Daher