Femmes d'Europe en route contre la dette illégitime et l'austérité

Elles étaient cinq militantes venant de Grèce, d’Angleterre, de Hongrie, de France et de Belgique à se donner rendez-vous à Paris ce 22 octobre 2012 pour le lancement de la tournée des féministes européennes. A chaque étape, dans chaque ville, elles ont tenu des rencontres avec les associations féministes « locales » suivies de meetings publics sur le thème « Dette publique, austérité, crash social et féminisme ». Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Christine Vanden Daelen et Judith Morva qui faisaient halte à Genève.

 

 

Christine Vanden Daelen (Belgique), membre du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM) et de l’Initiative Femmes contre la dette et les mesures d’austérité, décrit les objectifs de la tournée : «Contre les pires régressions de nos droits, depuis la Deuxième Guerre mondiale, contre les politiques d’austérité, nous, féministes engagées dans cette tournée, voulons lancer un processus de regroupement, discuter des nouveaux défis et élaborer des alternatives. Rassembler les femmes en dehors de leurs appartenances associatives, politiques, syndicales?; participer à la construction d’un mouvement large et unitaire d’actions féministes contre la dette illégitime et l’austérité généralisée, voilà notre but!» Elle nous rappelle qu’appliquées sous la pression des marchés financiers, les politiques d’austérité se font sur un même modèle partout en Europe : celui d’une baisse draconienne des dépenses publiques qui se traduit par des coupes dans les services publics et dans la protection sociale, par une réduction des salaires et des pensions et l’instauration d’impôts ciblant sans vergogne les populations les plus pauvres.

Ces mesures viennent compléter les politiques néolibérales de privatisation, de flexibilisation du marché du travail et de précarisation. Elles s’appuient sur la crise pour tenter de parachever le modèle néolibéral. Un modèle synonyme pour les femmes d’un retour forcé au foyer, d’extrême insécurité, de dépendance, de violences et d’exclusion pour des millions d’entre elles de l’accès aux besoins vitaux. Or, selon Christine, alors qu’elles en supportent les pires conséquences, les femmes n’ont à payer aucune dette de quelque nature que ce soit. Ce sont elles les véritables créancières au niveau national et international. Elles sont titulaires d’une énorme dette sociale. Sans leur travail gratuit de production, de reproduction et de soins aux personnes, nos sociétés péricliteraient tout simplement !

Il n’est dès lors pas exagéré de déclarer que l’illégitimité de la dette publique est encore plus criante lorsqu’on est une femme ! A la fin de notre rencontre, elle appelle les femmes à refuser l’austérité et à faire entendre leurs propositions pour la construction d’un nouveau modèle social qui garantisse l’émancipation de toutes et de tous. Seul le rapport de force social résultant de fortes mobilisations pourra imposer le changement. Christine Vanden Daelen est convaincue qu’il n’y aura pas de fortes mobilisations sans les femmes qui, si elles sont les plus touchées par l’austérité, sont les premières et les plus ardentes à la combattre.

 

 

Judith Morva, de Hongrie, membre d’ATTAC et de l’Initiative féministe européenne (IFE), commence par un rappel historique : «Sous l’ancien régime, les infrastructures collectives étaient au service de l’indépendance des femmes: elles disposaient d’une liberté et d’une autonomie financière grâce à l’accès à des services publics performants. IVG et contraception constituaient des acquis pour les femmes hongroises».

Elle poursuit en liant le saccage socio-économique de la Hongrie au basculement du pays dans l’économie de marché. Avec la transition vers le capitalisme, tout fut privatisé, la dette a explosé, l’industrie et l’agriculture furent laminées et un million et demi de personnes (sur une population de 10 millions d’habitant·e·s) perdirent leur emploi dans les années 90. Tout ce qui se fait actuellement à grande vitesse en Grèce est à l’œuvre en Hongrie et dans les pays de l’Est depuis 20 ans !

De nos jours, le mythe d’un capitalisme générateur de progrès et de bien-être collectif ne fait plus rêver personne. 40 % de la population vit dans la pauvreté. Une personne sur dix est susceptible d’être délogée, car elle n’arrive plus à payer ses crédits notamment à cause de charges énergétiques très élevées (eau, électricité…). Judith déclare qu’il n’est pas rare d’assister à des expulsions punitives s’attaquant le plus souvent aux plus précaires (personnes âgées, femmes seules, familles nombreuses, handicapé·e·s…) afin d’insuffler la peur et de pousser les gens à continuer de payer. L’Etat a tellement été disloqué – bien souvent au nom de la dette – qu’il n’assure plus du tout les besoins des plus pauvres, qu’il a complètement laissé tomber ces 15 % de la population qui vivent dans la misère absolue, errent dans les rues, connaissent le travail forcé, survivent via la prostitution et la vente d’organes ou habitent des cabanes en bois dans les forêts de Budapest.

Pour lutter contre cette situation effroyable et monstrueuse, Judith Morva appelle à la solidarité et à l’élaboration au niveau européen de revendications communes qui pourraient se structurer selon trois axes : zéro faim et froid; le droit au logement garanti pour toutes et tous;  un système financier à échelle humaine.

 

Pour finir, Christine nous explique que cette tournée des féministes européennes a constitué un véritable pari organisationnel qui n’aurait jamais pu se concrétiser sans l’implication généreuse de nombreuses personnes. Les rencontres, les dynamiques et les synergies qu’elle permet sont autant de pas vers la constitution d’un mouvement européen populaire, unitaire et féministe capable de mettre fin à l’austérité, d’annuler la dette illégitime et d’instaurer la primauté absolue des besoins des populations sur ceux des banques.

 

Propos recueillis par Juan Tortosa