L'armée contre-attaque à l'intérieur

Depuis l’enterrement des projets d’engagement de troupes suisses à l’extérieur, avec le refus de participer à l’opération « Atalante » en septembre 2009, l’armée se cherche désespérément des scénarios crédibles à l’intérieur. Aujourd’hui, elle se pose comme rempart aux effets de la crise économique. Pour surmonter les défis posés au système de conscription et à l’achat de nouveaux avions de combat, la direction de l’armée contre-attaque à plusieurs niveaux.

Le chef de l’armée, André Blattmann, avait étonné le public suisse et étranger en mars 2010 déjà en évoquant la menace provenant des pays endettés du sud de l’Europe : Grèce, Portugal, Espagne, Italie… avec le danger d’une arrivée en Suisse d’une vague de réfugiés à la suite de la faillite d’un de ces Etats. Cet automne, les scénarios des futurs engagements de l’armée se précisent avec d’une part l’exercice Stabilo Due auquel participaient environ 2000 officiers, et de l’autre l’annonce de la création de quatre nouveaux bataillons de police militaire pour un total de 1696 soldats à engager en cas de troubles sociaux à l’intérieur du pays (voir solidaritéS nº 216). Le scénario de Stabilo Due décrivait une Europe en proie à des troubles sociaux et politiques dus à la crise économique. Des vagues de réfugiés en fuite de l’Europe se pressaient à nos frontières; à cette menace s’ajoutaient des attentats et autres violences commises en Suisse. «Je n’exclus pas que nous ayons besoin de l’armée dans les prochaines années», répondait Ueli Maurer aux interrogations soulevées par cet exercice. Dans une interview au journal dominical alémanique Sonntag, André Blattmann a encore renchéri en affirmant que les actuels flux migratoires en provenance d’Afrique du Nord portent en leur sein la menace terroriste : «?Des signaux inquiétants viennent notamment de la zone du Sahel (…) Apparemment, des organisations terroristes du Pakistan et d’Afghanistan se déplacent en direction de l’Afrique du Nord. Ils se sont considérablement rapprochés de nous».

 

«Mieux montrer l’armée à la population»

Dans l’interview mentionnée, Blattmann constate que l’armée a perdu beaucoup de visibilité et annonce une vaste opération de propagande militaire pour 2013. «?Nous devons mieux montrer l’armée à la population. Cela pourrait ressembler à ceci: à Berne nous construisons un pont sur l’Aar, on y fait passer des chars d’assaut, on met sur pied un dispositif de sécurité de l’infanterie et la population peut assister en spectatrice?; ainsi nous serions à Berne pendant une semaine avec des soldats actifs, ensuite à Zurich pour une autre semaine. Une semaine dans chaque canton». La communication sera intensifiée aussi pour l’achat du Gripen : «?Nous voulons montrer aux médias les progrès dans le développement du nouveau modèle de Gripen ‘E’ une fois par semestre.?» 

Il est évident que l’armée se prépare aux votations sur l’initiative pour la suppression du service militaire obligatoire, qui devrait passer en votation populaire dans la deuxième moitié de 2013, et sur le référendum contre l’institution d’un fonds spécial destiné à financer l’achat des Gripen qui sera lancé dès son approbation par le parlement.

 

L’armée proche du démantèlement

Dans l’immédiat, on assiste à une mobilisation sans précédent des chefs militaires pour réclamer une hausse du plafond pour les dépenses militaires des 4,7 milliards proposés par le Conseil fédéral à plus de 5 milliards. C’est la « contre-attaque de la direction de l’armée ». Sous ce titre, la NZZ du 10 novembre reporte les mises en garde du chef de l’Etat-major de conduite, le divisionnaire Halter, selon lequel le budget proposé par le Conseil fédéral comportera des coupes draconiennes dans les prestations de l’armée : 

— «l’aide des militaires en faveur des autorités civiles sera réduite et les moyens engagés pour l’aide en cas de catastrophe limités.

— Le degré de disponibilité de la troupe sera moindre, les militaires ne seront pas prêts à être engagés suffisamment tôt dans un cas effectif. 

— La dotation de l’armée sera incomplète. Certains bataillons seulement disposeront des blindés pour le transport des troupes, des systèmes d’armes et des autres moyens qui leur sont attribués.

— Il y aura un démantèlement de l’infrastructure militaire, des casernes et des places d’armes devront être fermées.

— Il faudra réduire le personnel militaire auprès de la Confédération et des cantons.?»

 

En 2013, la droite suisse va sortir les grands moyens pour convaincre la population de la nécessité d’entretenir une armée «crédible» et «issue du peuple pour la sécurité du peuple». Parviendrons-nous à convaincre que les priorités pour la sécurité sont sociales, économiques et environnementales ? Que les nouveaux bataillons de policiers militaires et les nouveaux avions de combat ne servent qu’à la mise en scène d’une fausse sécurité ?

 

Tobia Schnebli