Menaces sur l'AVS

D’ici à la fin de l’année, le Conseiller fédéral Alain Berset mettra en consultation une importante réforme de l’AVS : le patronat ne peut rêver mieux qu’un Conseiller fédéral socialiste pour s’attaquer à une assurance sociale très populaire parmi les salarié·e·s.


En octobre 2010, la 11e révision de l’AVS, qui prévoit notamment d’augmenter l’âge de départ en retraite des femmes à 65 ans, est enterrée par les Chambres fédérales, après avoir été refusée une première fois en votation six ans plus tôt : c’est qu’à la veille des élections nationales, l’UDC ne souhaite pas être confrontée à une campagne référendaire menée par la gauche pour défendre l’assurance vieillesse, son image de « parti du peuple » (Volkspartei) risquant de s’en trouver écornée. Aujourd’hui, les milieux patronaux pressent le Conseiller fédéral Berset de passer à l’action, avant que les élections de 2015 ne pointent à l’horizon. Comme le remarque la Neue Zürcher Zeitung, révélant au passage une certaine morgue à l’égard de la démocratie : «la fenêtre de lancement pour réformer les assurances sociales est étroite; à peine atteint le milieu de la législature, elle se refermera sur l’ombre des élections» (6.11).

 

Frein à la démocratie

Comme souvent s’agissant des assurances sociales, les milieux bourgeois agitent le spectre d’un endettement qui deviendrait insoutenable. La NZZ (21.7) prédit ainsi à l’AVS 8,9 milliards de déficits à l’horizon 2030. Peu importe que ces prévisions alarmistes se soient avérées systématiquement erronées par le passé. Une recette miracle est notamment mise en avant par la droite et le patronat : l’administration à l’AVS d’un frein à l’endettement, sur le modèle de celui qui a été instauré pour le budget de la Confédération il y a dix ans. Aux yeux des milieux bourgeois, un tel frein à l’endettement présenterait un avantage de taille, celui de dépolitiser le débat autour de l’assurance vieillesse : une fois dépassé le taux d’endettement préalablement fixé, des coupes dans les prestations – par exemple la suppression de l’indexation des rentes – seraient automatiquement appliquées, sans même passer par une ratification parlementaire. Un véritable frein à la démocratie, par ailleurs prévu pour l’AI, dans le deuxième volet de la 6e révision en cours.

Ce frein à l’endettement a d’autant plus de chances de passer la rampe que malheureusement, il n’y a pas d’un côté le conseiller fédéral Berset, pris dans les rets de la collégialité – et à ce titre « contraint » d’appliquer une politique bourgeoise de démantèlement des assurances sociales – et, de l’autre, une opposition parlementaire socialiste intransigeante : en réalité, les socialistes aux Chambres se montrent pour le moins ambigus sur la question. Ainsi, la députée aux Etats Anita Fetz (BS) a affirmé pendant le débat sur la mise en œuvre d’un frein à l’endettement pour l’AI : «Personnellement, je n’ai en principe rien contre un frein à l’endettement. Nous le connaissons déjà pour l’assurance-chômage.?» (19.12.11). Et sa collègue Liliane Maury-Pasquier (GE) de surenchérir : «Comme vous le savez, je suis convaincue de l’importance de la prévention. Ce mécanisme d’intervention en cas de risque d’endettement me semble donc être une bonne idée».

 

Capitalisation en faillite

La grande crise de 2008 a montré avec éclat les impasses du IIe pilier : l’équivalent de 60 milliards de retraites capitalisées est alors parti en fumée en Suisse. Par exemple, la Caisse de pensions du canton de Bâle-Ville, après avoir reçu un versement de 1,5 milliard début 2008, permettant de combler entièrement son « découvert technique », s’est retrouvée fin 2008 avec un nouveau « découvert technique » de 1,1 milliard ! L’AVS, par contraste, a démontré une certaine solidité financière, en dépit de l’alarmisme de la droite, et malgré un taux de cotisation paritaire inchangé depuis 37 ans. De 1975 à 2008, l’assurance vieillesse a ainsi été capable de doubler le nombre de rentes, avec un financement stable à hauteur de 6 à 6,5 % du PIB, dans la mesure où l’obligation de cotiser n’est pas plafonnée et concerne donc les salaires les plus élevés, alors que la rente maximum ne peut être que le double de la rente minimale (à noter toutefois que cette stabilité financière a aussi été garantie au prix d’importants reculs, telle la hausse de la retraite des femmes à 64 ans en 1994).

La gauche doit donc dénoncer la faillite du système de retraites par capitalisation et promouvoir un renforcement substantiel du système par répartition. A ce titre, solidaritéS soutiendra certainement l’initiative «?AVSplus » qui vient d’être lancée par l’Union syndicale suisse (USS), tout en regrettant que les délégués de l’USS aient choisi la version la plus minimaliste parmi celles qui étaient soumises au vote, celle qui prévoit une augmentation linéaire des rentes de 10 %?; le Syndicat des services publics (SSP) avançait en lieu et place un projet proposant une hausse de 20 %. En outre, l’initiative de l’USS ne fixe aucun objectif contraignant en matière de financement, estimé à 3,6 milliards pour cette hausse des rentes : en cas d’acceptation de l’initiative, ce flou artistique – il est vrai pondéré par le lancement d’une autre initiative visant à l’instauration d’une plus forte imposition des héritages de plus de 2 millions, visant pour partie à financer l’AVS – ouvre la porte à un financement antisocial, via une hausse de la TVA. Une première hausse d’un point de TVA pour financer l’AVS avait déjà été décidée en 1999 par la majorité bourgeoise des Chambres. Une lacune d’autant plus regrettable que, selon un sondage de l’Université de Saint-Gall du 29 mars 2010, une majorité des Suisses privilégierait une hausse des cotisations à celle de la TVA pour financer cette nécessaire extension de l’AVS.

 

Hadrien Buclin