Le point de non-retour de la fonte des glaces arctiques

Le 16 septembre dernier, la banquise arctique s’est réduite à sa plus petite dimension jamais enregistrée, soit 3,41 millions de km², c’est-à-dire la moitié de sa moyenne entre 1979 et 2000. Le capitaliste lambda n’y voit qu’une double opportunité : l’ouverture de la navigation et l’exploitation des fonds marins. La réalité est tout autre.

La vérité, comme disait Winston Churchill, est irréfutable. «La perfidie peut l’attaquer, l’ignorance peut la nier, mais à la fin, la vérité est là». Si on gratte la couche de dénégation, d’indignation et de mauvaise foi qui obscurcissent la question du changement climatique, on met à nu une vérité : la calotte arctique est en train de mourir et avec elle l’espérance de l’humanité en un futur prospère et prévisible.

Dans le sillage de la plus dramatique des configurations géographiques que le monde ait connues depuis la dernière ère glaciaire, la banquise arctique est maintenant vouée à une destruction accélérée. En 2007, le GIEC tirait la sonnette d’alarme : sauf réduction draconienne des émissions globales de gaz à effet de serre, l’océan arctique serait libéré des glaces pendant l’été, et ce à partir de la fin de ce siècle.

C’était d’un optimisme débridé. Le 16 septembre dernier, la banquise s’est réduite à sa plus petite dimension jamais enregistrée, soit 3,41 millions de km², c’est-à-dire la moitié de sa moyenne entre 1979 et 2000. La surface de glace marine qui a été perdue correspond à 41 fois la surface de l’Irlande. Cette réduction de la surface des glaces est alarmante, mais la diminution de son volume de 72 % est encore pire. Non seulement la superficie diminue, mais en plus la surface restante s’affine à une vitesse précipitée.

Peter Wadhams, Professeur du Polar Ocean Physics Group, a déclaré que les données relevées en septembre 2012 représentent un désastre. Il envisage la destruction des glaces estivales de l’Arctique dès 2015-2016 – soit 50 ans plus tôt que les projections du GIEC. Il a ajouté que «l’effondrement final qui rendra cet état permanent sera probablement finalisé d’ici là».

 

On ne peut exagérer ce qui est en train de se produire

On ne peut exagérer l’ampleur de ce qui est en train de se produire dans les régions arctiques. La calotte polaire arctique couvrait 2 % de la surface terrestre, et l’effet réflecteur de la glace permettait de renvoyer dans l’espace une bonne partie de l’énergie solaire qui arrivait sur cette grande masse blanche. La disparition de la glace, qui sera remplacée par un océan ouvert et sombre, crée un dramatique point d’effet de seuil dans l’équilibre énergétique de la planète : «Selon nos calculs, les radiations supplémentaires qui vont être absorbées seront équivalentes à ce que causerait 20 années supplémentaires d’émissions de gaz à effet de serre par l’homme» a affirmé le professeur Wadhams.

Cela s’ajoute aux émissions globales de dioxyde de carbone (CO2) qui sont déjà en train dépasser de manière vertigineuse les taux dont les scientifiques estiment qu’ils représentent un grave risque pour l’humanité. […]

L’hémisphère nord est déjà en train de subir les conséquences des futurs dérèglements climatiques produits par la fonte de l’Arctique. Le Jet Stream (courant de vents puissants de haute altitude) qui est activé par la combinaison entre le froid arctique et les températures plus tièdes des latitudes moyennes, détermine une grande partie de notre climat actuel. Il est en train de s’affaiblir et de devenir moins régulier, tandis que la fonte de la glace arctique s’accélère et que les régions se réchauffent. […] 

L’affaiblissement du Jet Stream est en train de provoquer ce qu’on appelle des événements bloquants; des épisodes climatiques extrêmes comme la sécheresse, le gel, les inondations qui s’imposent durant des périodes anormalement longues. La vague de chaleur en Russie en 2010 et l’extrême sècheresse de l’été dernier aux USA y sont également liées.

 

En territoire inconnu

«Nous avançons en territoire inconnu», a dit James Overland, de l’Université de Washington. L’affaiblissement du Jet Stream signifie «de violents changements de températures et une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes». La dernière fois que l’Arctique a été libéré des glaces, c’est durant l’éemien (l’avant-dernière période interglaciaire du Quaternaire), il y a 125 000 ans, lorsque le niveau global des mers et des océans était quatre ou six mètres au-dessus de la moyenne actuelle. Mais les taux de CO2 dans l’atmosphère sont aujourd’hui déjà plus élevés que pendant la période éemienne, et il faut remonter très loin dans l’histoire terrestre pour trouver une période qui soit comparable à nos jours quant au niveau de concentration de gaz à effet de serre.

L’inertie du système fait en sorte que nous n’avons jusque maintenant ressenti que les effets les moins forts du déséquilibre croissant de notre système climatique. […]

Entre 2003 et 2008, plus de 2 000 milliards de tonnes de glace ont fondu entre le Groenland, l’Antarctique et l’Alaska. Puisque la banquise arctique flottait déjà sur l’eau, sa fonte n’entraîne pas d’augmentation du niveau des mers. Mais tandis que nous avançons vers la finalisation de sa destruction, le sort de la masse de glace terrestre du Groenland est joué. L’eau prise dans la glace à cet endroit est suffisante pour augmenter le niveau des océans de six à sept mètres.

La catastrophe globale des uns est cependant l’opportunité commerciale des autres. Des gouvernements et des entreprises du secteur de l’énergie, en particulier Shell, sont en train de jouer des coudes pour prendre possession du pétrole et des minéraux présents sous cette couche de glace. C’est un peu l’histoire de celui qui brûle sa maison parce qu’il a froid. 

 

John Gibbons, écrivain et conférencier sur la question climatique.

Traduction française : Sylvia Nerina (Avanti4.be)

Titre, intertitres et coupures de la rédaction