Suppression du service militaire obligatoire

Suppression du service militaire obligatoire : Une menace pour la «cohésion nationale»?

La droite a mis une énergie inhabituelle et débordante dans sa défense sans concessions du service militaire obligatoire, présenté comme une institution fondamentale pour la Suisse, menacée par une initiative particulièrement sournoise et malveillante.

Avec près de soixante prises de parole et plusieurs questions, le débat lors de la session de décembre du Conseil national sur l’initiative du GSsA pour la suppression du service militaire obligatoire a dû être réparti sur deux journées.

Moderniser ou démilitariser ?

Les Verts et les Socialistes ont vainement argumenté en faveur de l’initiative, mais surtout en mettant en avant la nécessité de réduire les effectifs et les coûts de l’armée pour la «moderniser». Dans la campagne de votation, il ne sera donc manifestement pas facile de développer une argumentation réellement antimilitariste. Mais celle-ci reste plus que jamais nécessaire, comme l’a abondamment montré le prélude à la campagne de votation offert par le débat du Conseil national.

Pour une très nette majorité des parlementaires de droite, la suppression du service militaire obligatoire équivaut tout simplement à la suppression de l’armée. Le système helvétique de milice obligatoire serait indispensable pour «garantir la sécurité», il constituerait même un «pilier central du succès helvétique», une «tradition qui assure la cohésion nationale et sociale», une «valeur profondément ancrée dans le peuple suisse», et même une «partie intégrante de l’identité suisse».

L’ennemi intérieur qui trahit la patrie

S’attaquer à une institution aussi fondamentale revient à un acte trahison perpétré par l’ennemi intérieur: «Que des adversaires de la Suisse cherchent à la rayer de la carte, on peut le comprendre, mais que la menace vienne de l’intérieur est plus grave et plus triste» (D. de Buman PDC/FR).

Plutôt que de relater les propos de la droite attachée à l’armée, contentons-nous de quelques rappels. Le service militaire obligatoire a été introduit en Europe à partir du début du 19e siècle avec le but d’organiser les guerres totales, d’agression ou de défense, avec des armées de masse.

Les effroyables boucheries de la Première et de la Deuxième guerre mondiale, avec des dizaines de millions de morts ont aussi été rendues possibles grâce à l’apprentissage généralisé du métier de la guerre et du conditionnement des jeunes conscrits. En effet, au 19e siècle la généralisation du service militaire obligatoire en Europe s’est imposée contre la résistance des conscrits. Les déserteurs, les insoumis, les objecteurs de conscience qui ont refusé d’obéir ont été très durement réprimés.

Pour les Etats démocratiques et «libéraux», la légitimation pour contraindre leurs propres citoyens mâles à effectuer le service militaire obligatoire est fondée uniquement sur une nécessité de faire face à ce qu’on peut considérer comme une menace existentielle pour le pays, comme une invasion militaire. Seule cette menace peut légitimer une limitation de liberté aussi grave que l’obligation d’apprendre le métier de la guerre et d’accepter, le cas échéant, de sacrifier sa vie pour la survie de la Nation.

Paresse mentale et insécurité sociale

Force est de constater qu’aujourd’hui en Suisse le service militaire obligatoire est encore perçu comme étant à la base de l’idée même de la défense nationale. Sous le titre «Préserver les valeurs, défendre le pays», dans le journal de l’UDC distribué au mois de novembre dernier à tous les ménages du pays, le Conseiller fédéral Ueli Maurer proclame que l’initiative pour supprimer le service militaire obligatoire «appelle à la paresse» et que «en tant que citoyens suisses nous avons beaucoup de droits dans ce pays mais aussi l’obligation de veiller à sa sécurité.»

C’est au contraire l’armée qui invite à une paresse qui est surtout mentale. On délègue à l’armée la tâche de «garantir la sécurité» de la population, alors que les causes réelles de l’insécurité que subissent les habitant·e·s de ce pays sont tout sauf d’ordre militaire. Les vraies menaces ce ne sont pas les divisions blindées ennemies qui pressent aux frontières, ni les «vagues de migrant·e·s» qui fuient les misères du monde, mais l’exclusion sociale dont souffre une partie de plus en plus importante de la population ou encore la destruction de l’environnement et l’épuisement des ressources non renouvelables.

Vers un vrai service civil volontaire

Au lieu d’obliger les jeunes mâles suisses à se préparer contre des menaces qui sont des fantasmes militaires du passé, l’initiative veut offrir à tous les jeunes de ce pays qui le veulent, hommes et femmes, suisses et non suisses, la possibilité de s’engager dans des activités qui sont véritablement au service des besoins de sécurité de la population et de la cohésion sociale de la collectivité.

C’est là tout le sens de l’alinéa 2 de l’initiative qui, avec la suppression du service militaire obligatoire donnerait aussi la base constitutionnelle pour doter la Suisse se dote d’un vrai service civil volontaire et universel mais sans obligations ni limitations de sexe ou de nationalité.

Tobia Schnebli