Vers un nouveau parti anticapitaliste au Chili

Les 11 et 12 décembre derniers, pour faire le point sur le Mai 68 des étudiant·e·s chiliens de 2011, notre bimensuel avait invité deux de ses animateurs, Sebastian Farfán Salinas et Roberto Vargas. Le premier a pris la parole au cours de deux soirées d’information, à Genève et à Lausanne. Le second nous a entretenu plus particulièrement de l’expérience de l’Université populaire de Valparaiso. Nous revenons ici sur leurs témoignages.

En 2011, les étudiant·e·s chilien avaient impressionné le monde. Depuis, leur mouvement a fait des petits au Québec et en Colombie. Du sud au nord des Amériques, la marchandisation de l’éducation a ainsi été l’objet d’une contestation de masse, et ces mobilisations de la jeunesse ont reçu une très large adhésion populaire.

Relance de la protestation sociale

Certes, le grand mouvement chilien de 2011 n’a pas réussi à faire céder le gouvernement conservateur de Sebastián Piñera. L’objectif d’un enseignement public et gratuit pour toutes et tous n’a pas été atteint. Tout juste, les autorités ont-elles proposé de subventionner les banques pour qu’elles réduisent les taux d’intérêt des prêts consentis aux étudiant·e·s. Pour autant, les formidables mobilisations de 2011 ont réussi à délégitimer les politiques néolibérales et à donner du crédit aux mouvements sociaux qui leur résistent – en défense des services publics, de l’environnement, du peuple mapuche, etc. Plusieurs sondages ont ainsi montré que, si le peuple chilien ne fait plus confiance à ses politicien·nes – de droite comme de centre-gauche –, il croit de plus en plus à ses propres capacités d’action collective.

Pour nos interlocuteurs, le mouvement de 2011 a ouvert un nouveau cycle social et politique. La transition pactée – de la dictature de Pinochet à une démocratie contrôlée – avait vu les partis démocrate-chrétien et socialiste occuper le pouvoir exécutif, de 1990 à 2010. Le retour à la démocratie – aussi imparfaite soit-elle – ne mettait pas en cause les politiques de privatisation imposées par les autorités militaires. Bien au contraire, le nouveau pouvoir allait poursuivre et approfondir la gestion néolibérale du pays pendant vingt ans. En 2010, la victoire électorale des conservateurs coïncide cependant avec l’irruption de la crise, tandis que les effets cumulés des politiques antisociales menées depuis près de 40 ans ont plongé le pays dans la prostration. C’est pourquoi, le mouvement de la jeunesse a marqué un point de retournement de la conjoncture sociale et politique.

Défendre la démocratie et le bien commun

La nouvelle génération s’est faite ainsi l’interprète d’un malaise généralisé, suscitant pour la première fois la mise en cause du modèle économique de la transition, géré avec la même application par la Concertation (centre-gauche), qui espère revenir au pouvoir à l’automne 2013, que par la droite. Et tandis que le Parti communiste mise sur une nouvelle candidature de Michelle Bachelet (Parti socialiste) aux présidentielles de novembre 2013, pour mettre en place une «Concertation bis», «plus à gauche», au sein de laquelle il pourrait peut-être occuper des postes ministériels, une nouvelle gauche antilibérale envisage la présentation d’une alternative politique, appuyée sur le mouvement social. Elle comporte essentiellement trois courants: un secteur influencé par l’autonomie italienne, qui refuse de construire un pôle politique séparé du mouvement social, une convergence marxiste, candidate à la formation d’un nouveau parti anticapitaliste, et un pôle social-démocrate de gauche, en quête d’alternative à la Concertation. D’ici le printemps prochain, nous saurons s’ils parviendront à former un front commun sur un programme de rupture avec le néolibéralisme – santé et éducation gratuites pour toutes et tous, nationalisation des ressources naturelles, en particulier du cuivre, protection de l’environnement, assemblée constituante pour une véritable démocratie, etc. – et à soutenir une candidature unique aux présidentielles.

Une nouvelle gauche anticapitaliste

Comme nous l’avons vu, l’aile marxiste de cette convergence antilibérale défend la nécessité de créer un parti anticapitaliste unifié, porté par une nouvelle génération militante, qui rompe avec la tradition d’émiettement de l’extrême-gauche, nourrie par plusieurs décennies de défaites. Elle se retrouve aujourd’hui dans des regroupements comme l’Union nationale étudiante (UNE), qui rassemble la gauche radicale du mouvement étudiant au niveau national, dans des expériences comme celle des universités populaires (en particulier à Valparaiso, voir ci-dessous), ainsi que dans d’autres foyers de mobilisation politiques et sociales issues de ces dernières années.

Les porteurs de ce projet entendent réunir l’ensemble des forces disponibles pour créer un parti politique capable de porter une alternative anticapitaliste crédible à l’échelle nationale et de se lier à d’autres mouvements du même type au niveau international. Ils envisagent cet objectif comme un processus. Il ne faut pas aller trop vite, au risque de faire long feu, comme l’expérience récente du parti Igualdad l’a montré, mais pas trop lentement non plus, au risque de laisser passer une telle opportunité. Une affaire à suivre…

Jean Batou


 

Universités populaires

Le mouvement des universités populaires a une longue histoire en Amérique latine, où il est né à la fin de la Première guerre mondiale, dans la foulée d’une succession de soulèvement étudiants (en Argentine, au Pérou, au Chili, au Mexique, en Colombie, à Cuba, au Paraguay, en Bolivie, etc.). Il a bénéficié de la participation active des principaux penseurs marxistes de l’époque, comme Julio Antonio Mella à Cuba ou José Carlos Mariátegui au Pérou.

Aujourd’hui, dans son principal centre de Valparaiso, au Chili, l’Université populaire s’inscrit dans cette tradition en s’efforçant d’offrir aux militant·e·s associatifs et syndicaux une formation idéologique qui leur donne les moyens intellectuels de contribuer plus efficacement au développement de leurs luttes.

JB