Mode à bas prix et grandes fortunes

Le galicien Amancio Ortega est le nouvel homme le plus riche d’Europe. Selon le « Bloomberg BIllionaires Index », il possède une fortune difficilement imaginable de 39,5 milliards de dollars. Ortega est peu connu, comme son entreprise Inditex SA. Sa chaîne de magasins de mode Zara l’est beaucoup plus. On y trouve des T-shirts pour 30 francs et des jeans denim délavés pour 60.

 

La mode à bas prix permet de se construire de gigantesques fortunes. Ortega est le numéro quatre de la superligue des riches. Avant lui, d’autres ont connu l’ascension dans cette catégorie, comme la famille Persson, qui possède le groupe Hennes & Mauritz (H & M). Depuis Stockholm, les Persson dirigent un empire de 94 000 employé·e·s, dans 2500 magasins, repartis dans plus de 35 pays. Régulièrement, les murs de nos villes sont couverts d’affiches de H & M (actuellement pour un soutien-gorge super-push-up à 14 francs 90). Le propriétaire, Stefan Persson, est à la tête d’une fortune de 28 milliards et peut tout s’offrir. Même un village : il y a trois ans, il s’est payé la localité de Linkenholt dans le comté anglais d’Hampshire pour la modique somme de 25 millions de livres.

Les néerlandais Brennikmejers appartiennent aussi aux plus riches familles du monde entier. Leur trésor, c’est la chaîne de vêtements C & A, pour laquelle travaillent 50 000 personnes. Les quatre têtes qui dirigent le clan, compromis durant la guerre par sa proximité avec les nazis, possèdent selon Bilanz une fortune de 12 à 13 milliards. Une partie de ses membres vivent en Suisse et leur société, Cofra Holding AG, a son siège dans le paradis fiscal de Zoug.

Toute cette super-richesse forme un contraste éclatant avec l’affirmation selon laquelle, dans ce secteur d’activités, il est impossible de payer des salaires plus élevés. Manifestement, tout ce qui échappe aux salaires des vendeuses passe directement dans les poches des familles propriétaires.

 

A la base, la surexploitation

Les mauvaises conditions de travail sont au fondement même de ces richesses. Cela commence dès la production dans les pays à bas salaires comme le Bangladesh, le Pakistan ou le Brésil. La Déclaration de Berne a calculé que la couturière d’un T-shirt vendu 10 francs dans un magasin en Suisse ne touchait que 20 centimes. La part du lion, 6,20 francs, était accaparée par le détaillant. Même les vendeuses ici ne gagnent pas beaucoup. De nombreux salaires oscillent entre 3300 et 3700 francs. […]

Récemment, une fabrique textile au Bangladesh est partie en fumée. L’incendie, meurtrier, a mis en évidence les conditions catastrophiques qui y régnaient, causant 124 morts et 200 blessés. Cette entreprise douteuse travaillait pour le géant américain Walmart, mais aussi pour C & A. L’absence de mesures de sécurité et de contrôle étatique est à l’origine des ces décès. […]

Des organisations non gouvernementales mènent depuis longtemps des campagnes dénonçant les graves abus que connaît le secteur du textile. Elles essaient d’amener les chaînes de magasins de vêtements à plus de responsabilités, par exemple à travers la campagne « Clean Clothes Campaign », qui cherche, par un travail de sensibilisation dans l’opinion publique, à faire pression sur les marques pour qu’elles produisent plus proprement et de manière moins abusive. Il est aussi question d’un accord sur la protection contre les incendies. Mais jusqu’à ce jour, ni C & A, ni H & M, ni Zara ne se sont engagés fermement sur des documents.

 

Un antisyndicalisme de principe

La situation est encore aggravée par l’attitude antisyndicale des propriétaires de fabriques et des offices publics. En avril dernier, on a trouvé au Bangladesh le corps d’un militant ouvrier, Animul Islam. Le cadavre portait des traces de torture. Les services secrets avaient emprisonné et roué de coups le syndicaliste et ancien ouvrier du textile. Au Cambodge, l’initiateur d’une grève pour de meilleurs salaires s’est retrouvé devant un tribunal, accusé de consommer de la drogue. Les militant·e·s des droits humains disent qu’il s’agit en fait d’une intimidation des syndicats.

Certes, il existe un accord entre la faîtière syndicale internationale UNI et des chaînes de magasins comme H & M. Mais en Suisse, les multinationales de la mode à bas prix sont aux abonnés absents. H & M et C & A rejettent explicitement une discussion avec Unia. Bien qu’il existe, chez H & M, un comité d’entreprise européen, il n’y a pas de représentations des travailleurs. Dans le business de la mode, le partenariat social reste un mot étranger.

Le paysage est identique dans l’industrie de la chaussure. Selon Bilanz, la famille Bata possède une fortune évaluée entre 3 et 4 milliards de francs. Elle dirige son empire depuis Saint-Moritz. Plus riche encore, le roi allemand de la chaussure, Heinz-Horst Deichmann (magasins Dosenbach), se vante d’être entrepreneur chrétien. On lui attribue un magot de 4,1 milliards de dollars. Récemment, lorsque l’économiste en chef de l’USS, Daniel Lampart, a mis en évidence le fossé entre les riches familles de l’industrie de la chaussure et les bas salaires de ses vendeuses, dont beaucoup ne gagnent qu’entre 3100 et 3600 francs par mois, les patrons ont réagi agressivement. Le président de leur fédération a hurlé à la lutte des classes, prétendant que des salaires de moins de 4000 francs étaient «extrêmement rares». Tellement rares qu’Unia a trouvé, dans une filiale de la chaîne allemande de magasins de chaussures Reno, à Saint-Gall, un bas salaire de 2700 francs par mois.

 

Ralph Hug

« work », 13.12.12.

Adaptation et traduction de la rédaction.