Nestlégate

Nestlégate : Victoire pour ATTAC contre Nestlé et Securitas

Le 25 janvier 2013, exactement un an après la tenue du procès civil et quatre ans et demi après le dépôt de la plainte, le verdict est enfin tombé: Nestlé et la société de surveillance Securitas sont condamnées pour leurs pratiques d’espionnage d’Attac et des auteur·e·s du livre «Attac contre l’Empire Nestlé».

Le Tribunal a reconnu qu’il s’agissait d’une infiltration illicite et a admis que les droits de la personnalité des plaignant·e·s ont été violés. Il a condamné Nestlé et Securitas à leur verser une réparation pour tort moral de l’ordre de 3000 francs chacun·e ainsi qu’une partie des frais d’avocats.

Fin 2003, les deux entreprises mandatent une taupe, sous le nom fictif de « Sara Meylan », chargée d’infiltrer le groupe d’auteur·e·s qui rédigeaient un ouvrage critique sur le numéro 1 de l’agro- alimentaire. L’espionne rend ensuite compte dans des rapports détaillés du profil des participant·e·s et du contenu de ces réunions, qui avaient lieu parfois aux domiciles mêmes des auteur·e·s. Peu après, Attac découvre qu’une autre taupe avait pris le relais de Sara Meylan de 2005 à 2008, alors que Nestlé et Securitas avaient juré à plusieurs reprises – aux médias et devant la justice – avoir cessé l’infiltration en 2005. Attac avait alors porté plainte au pénal et au civil. On se souvient qu’un non-lieu au pénal a été prononcé en 2009 après une instruction très critiquable, comme l’a d’ailleurs démontré le livre d’Alec Feuz Affaire classée, paru peu de temps après aux Editions d’en bas. C’est donc avec une réelle satisfaction qu’Attac a accueilli ce verdict au civil. Pour les plaignant·e·s, ce jugement est le résultat d’une instruction menée sérieusement et de façon indépendante face à deux poids lourds de l’économie suisse.

 

Timides réactions médiatiques et politiques

A cet égard, il intéressant d’analyser les réactions dans les médias helvétiques à l’issue du verdict. Pour mémoire, rappelons-nous que cette affaire et ses multiples rebondissements, baptisée Nestlégate, avait défrayé la chronique en 2008-2009 dans les médias romands en particulier. Mais qu’en est-il en janvier 2013 ? La Télévision suisse romande – qui a sorti l’affaire par le biais de Temps présent du 12 juin 2008 – en a fait le deuxième sujet du téléjournal le soir du verdict, son confrère suisse alémanique SRF ainsi que la radio en ont également parlé sitôt le jugement connu. Cependant, l’attitude de ces médias publics ainsi que de la presse indépendante tels Le Courrier, la WoZ ou Radio Rabe contraste avec celle de la presse écrite qui s’est largement contentée de reprendre le communiqué de l’ats, vraisemblablement influencée par sa dépendance à l’égard des annonces publicitaires et victime d’un manque d’intérêt certain pour cette victoire d’un David contre Goliath. Silence radio également du côté politique où quelques voix s’étaient à l’époque pourtant insurgées contre ces pratiques d’espionnages.

 

Un signal fort en faveur de la liberté d’expression

N’en déplaise à certains, ce jugement du procès civil donne un signal fort : il est illégal d’espionner un groupe de citoyen·ne·s dont le seul « tort » a été d’exercer ses droits démocratiques fondamentaux en rédigeant un livre critique et sérieux sur une grande multinationale. Grâce à ce verdict, les libertés d’expression et de réunion, tout comme la protection de la sphère privée, ont fini par être bel et bien défendues même si le chemin a été difficile pour les auteur·e·s du livre Attac contre l’Empire Nestlé. Mais si justice a été rendue, il n’en est de loin pas toujours ainsi. Des services d’espionnage sont devenus un business lucratif qui fonctionne de plus en plus comme une sorte de privatisation des services de surveillance et qui échappe ainsi plus facilement à la législation en vigueur. Une sous-traitance des basses besognes qui arrange du reste bien les mandants tels que Nestlé. Il faut donc persévérer et dénoncer toute tentative de contrôler, d’espionner, de surveiller des personnes considérées comme trop critiques par les autorités ou les multinationales. Il doit être possible de s’engager pour une société plus juste, de lutter contre les inégalités criantes dans le monde, de mener des recherches indépendantes sur les activités des entreprises, sans être espionné ni infiltré. 

 

Isabelle Paccaud & Béatrice Schmid