Forum Social Mondial de Tunis
Forum Social Mondial de Tunis : Une nouveauté: l'espace climat
Un « espace climat » était présent lors de ce FSM, mis en place par 22 organisations dont Alternatives International, ATTAC France, Ecologistas en Acción, ETC Group, Global Forest Coalition, Via Campesina, Migrants Rights International,
No-REDD Africa Network, Social Movements for Alternative Asia…, avec le soutien d’une vingtaine d’autres, allant de solidaritéS au Conseil œcuménique des Eglises. Michel Ducommun a participé à l’ensemble de ses travaux pour le groupe écosocialiste de solidaritéS. Bilan à chaud de sa part.
La présence même d’un tel espace est une avancée pour la prise en compte des questions environnementales, même si ce thème est déjà présent dans la «Charte de Principes du Forum Social Mondial», et que les participant-e-s avaient chaque fois le choix entre 110 à 120 ateliers en dehors de l’espace, qui rassemblait en moyenne une centaine de participant·e·s.
Problèmes d’organisation et limites du débat
Passons maintenant au contenu. Malgré des moments intéressantsj’avoue avoir été déçu. D’abord par des problèmes d’organisation. Chaque atelier était programmé sur 2 heures et demie. Essentiellement pour des problèmes de traduction, ils commençaient avec trois quarts d’heure à une heure de retard. Résultat, on est passé très loin de l’objectif initial, débattre.
Les ateliers se limitaient à 4 ou 6 présentations des organisateurs·trices, il restait 15 ou 20 minutes de « débat », permettant 3 ou 4 interventions de 2 minutes avec réponse des intervenant·e·s à la table. La caricature étant l’Assemblée terminale de convergence, qui devait « arriver à une proposition avec des étapes concrètes et un plan d’action.» Cela s’est résumé à un résumé des 13 ateliers, et le temps disponible s’est ainsi écoulé !
Cependant, ce sont les questions de fond qui me semblent les plus importantes pour la suite. Et je commence par les points les plus enrichissants de ce forum.
Souveraineté alimentaire et refus des « solutions » techno-capitalistes
Via Campesina (5 femmes parmi les 6 intervenant·e·s !) a présenté
de manière très approfondie le concept de souveraineté alimentaire, soulignant que la petite paysannerie produit le 70 % de l’alimentation (hors viandes) sur 20 % des terres cultivables, que l’agro-écologie non seulement est capable de nourrir toute la population à venir mais en plus est une arme contre les désastres écologiques (au niveau du climat, de la biodiversité, de la destruction des sols, de la préservation des écosystèmes et de l’eau). A partir de ce constat, la lutte doit se centrer sur le droit des paysan·ne·s à la terre, pour une production de proximité, contre l’accaparement des terres et les agro carburants.
ETC Group, un groupe international qui analyse les tentatives techniques du capitalisme pour répondre aux dégâts climatiques et à la future disparition du pétrole et de ses produits dérivés, a présenté d’intéressantes critiques de la « biologie synthétique », un secteur technologique capable de créer des systèmes génétiques artificiels et de programmer des formes de vie à diverses fins industrielles, et de la géo-ingénierie, qui vise à contrôler le climat, notamment par l’injection de particules de sulfate dans la stratosphère pour réfléchir les rayons solaires, le déversement de particules de fer dans les océans pour favoriser l’absorption du CO2 par le plancton, la pulvérisation d’iodure d’argent dans les nuages pour déclencher des pluies et la modification génétique des cultures végétales pour que leur feuillage reflète plus les rayons solaires. ETC propose un arrêt définitif ou au moins un moratoire sur ces recherches, qui font joujou de manière incontrôlée avec des éléments essentiels conditionnant la vie sur terre.
L’analyse marxiste au rencart ?
D’autres visions présentes dans cet espace me semblent plus critiquables. Une grande importance a été donnée à la financiarisation de la nature, vue comme une nouvelle phase du capitalisme qui s’approprie ce que la nature fournit gratuitement, permettant au capital financier de faire d’énormes profits. La conséquence de cette approche, c’est que le profit peut résulter d’autre chose que de l’exploitation des travailleurs, que la théorie de la valeur de Marx peut être mise à la poubelle. Lorsque j’ai dit à l’un des intervenants que sa vision correspondait au fait que les billets de banques, déposés sur un lit, se reproduisaient comme les êtres vivants, il a rigolé, mais quand je lui ai demandé d’où provenait le profit, il m’a répondu « la rente », mais était bien incapable de dire d’où provenait celle-ci ! Si l’on n’est plus capable de faire une analyse correcte du capitalisme, on est plus faible dans la manière de le combattre.
Un projet postcapitaliste à construire
A ce niveau, il était significatif qu’il y avait presque unanimité pour affirmer qu’il était nécessaire pour résoudre la question climatique de « changer de système », mais la mention du fait que ce système est le capitalisme a été bien plus rare. De même le concept d’écosocialisme a été très peu présent. S’il faut changer de système, très peu a été dit sur les alternatives à proposer : une affirmation, « l’alternative, c’est résister »?; un atelier qui analysait les « projets » : bien vivre, les communs, droits de la nature, arrêt de la croissance, indice du bonheur, délocalisation. Ce sont des pistes, mais on est loin d’un projet post-capitaliste !
La seule proposition concrète, que je trouve quand même intéressante : récolter des propositions et créer un logo mondial pour l’urgence et la justice climatique. Finalement un bilan relativement décevant, même s’il était sans doute trop optimiste d’en attendre beaucoup plus, auquel se rajoutait pour moi le sentiment d’être vraiment tout petit en représentant le groupe écosocialiste de solidaritéS dans un forum mondial, mais j’en retire pourtant la conviction que nous devons développer nos contacts à ce niveau.
Michel Ducommun