Conférence sur le climat à Paris

Conférence sur le climat à Paris : C'est d'en bas que les impulsions devront venir

Nous publions ci-dessous un texte de Pablo Solón Romero. Secrétaire de l’Union des nations sud-américaine (UNASUR), il fut ensuite ambassadeur de Bolivie aux Nations Unies, de 2009 à 2011. C’est à lui que l’on doit le vote d’une résolution considérant l’accès à l’eau comme un droit humain. Très actif dans les négociations autour des Conférences des Nations-Unies sur le changement climatique (CCNUCC), il a également joué un rôle important dans l’organisation de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique à Cochabamba (Bolivie) en avril 2010. On a pu le voir récemment dans le documentaire Nature, le nouvel eldorado de la finance diffusé par Arte. Actuellement, il est directeur exécutif de l’ONG altermondialiste Focus on the Global South, basée à Bangkok.

 

Dans ce texte, paru sur son blogue et traduit de l’anglais par Daniel Tanuro, Pablo Solón analyse l’état de la préparation du sommet de Paris, qui se tiendra à la fin de cette année et devrait aboutir à un accord sur le climat. Décortiquant le document préparatoire adopté à Genève en février dernier, il montre que l’accord en question risque fort d’être un très mauvais compromis, qui «verrouillera des conséquences catastrophiques pour l’avenir de la planète et de l’humanité». L’heure est donc encore et toujours à la lutte pour le climat. Elle ne sera ni facile ni brève (DS).

L’avenir est dans le passé. Ce qui s’est produit déterminera ce qui adviendra. L’idée que nous pouvons tout changer et sauver le monde à la dernière minute est excitante dans les films, mais ça ne marche pas dans la vraie vie. Particulièrement quand il s’agit de questions comme le changement climatique, où les conséquences de ce que nous avons fait au siècle dernier commencent à peine à se manifester.

    Ce principe vaut aussi pour les négociations climatiques. Ce qui est sur la table maintenant, après les négociations climatiques qui se sont déroulées à Genève du 8 au 13 février 2015, détermine le champ et l’éventail des possibilités pour l’accord sur le climat qui est à l’ordre du jour de la prochaine COP21 (21e Conférence des parties signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique, NDT) qui aura lieu à Paris, en Décembre.

 

 

La bonne nouvelle 

 

La bonne nouvelle est que, à Genève, les négociations sur le climat ont finalement vraiment commencé. Facilement et rapidement, en évitant les longs discours, les délégations des différents pays se sont mises à compiler leurs différentes propositions pour un futur accord sur le climat à conclure à Paris. À l’heure actuelle, le texte de négociation compte 86 pages et 1273 passages entre crochets (options alternatives entre lesquelles les négociateurs devront choisir, NDT). La tâche pour les 10 prochains mois est de rationaliser ce projet pour déboucher sur un texte de 20 pages environ, sans annexes et sans passages entre crochets.

    Le texte actuel comporte de bonnes et de mauvaises propositions qui doivent encore être négociées et adoptées. Le résultat final se situera quelque part entre les propositions les plus ambitieuses et les propositions les plus faibles. Dès lors, que valent les propositions les plus positives qui sont sur la table ? Vont-elles nous mettre sur une voie limitant l’augmentation de la température à 1,5 ° C ou 2° C ?

 

 

Inquiétantes omissions 

 

Il est bien connu dorénavant que l’objectif de maintenir la hausse de températures au-dessous de 2° C implique de laisser 80 % des réserves actuellement connues de combustibles fossiles sous la terre [lcr-lagauche.org/dune-bulle-a-lautre NDT]. Cela a été établi par de nombreuses études, rapports et interventions, mais aucun pays n’a soumis cette proposition pour l’intégrer au texte actuel de négociations. L’expression « combustibles fossiles » n’apparaît que deux fois dans le texte, et seulement en référence à la réduction des subsides à ces combustibles. Or, comment réduire les émissions de gaz à effet de serre si on ne s’accorde pas pour laisser sous terre 80 % de « l’or noir » qui a été découvert ?

    L’autre omission inquiétante est l’objectif à court terme pour 2025 et 2030. Le texte fait 13 fois références aux émissions zéro comme objectif à atteindre au milieu ou à la fin du siècle. Mais quand il s’agit de cette décennie et de la suivante, il n’y a pas d’objectifs concrets, seulement des références générales à la nécessité « d’être plus ambitieux en matière d’atténuation » [“enhancing the mitigation ambition”], expression qui apparaît 61 fois dans le texte. Les objectifs nécessaires sont posés très clairement dans différentes études. Le rapport Emissions Gap du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) [sur l’écart entre la tendance actuelle et le chemin à suivre pour rester sous 2° C – NDT] et d’autres études montrent que, pour rester sur une trajectoire qui limite l’augmentation de la température à 2° C, les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent être réduites à 44 gigatonnes (Gt) de CO2 d’ici 2020, 40 Gt en 2025 et 35 Gt en 2030. Voilà ce dont le monde a besoin pour éviter un avenir trop terrible pour qu’on puisse l’imaginer. Or, le texte ne fait pas référence à ces chiffres. Il ne contient que des objectifs en pourcentages, à atteindre en 2050. Pour le court terme, la proposition la plus ambitieuse dit ceci : « Les pays développés prendront des engagements d’atténuation pour la période post-2020 qui seront plus ambitieux que la réduction des émissions d’au moins 25-40 pour cent en dessous des niveaux de 1990 d’ici 2020 ». En d’autres termes, il faut être plus ambitieux dans la prochaine décennie qu’au cours de celle-ci. Ce n’est pas vraiment un objectif clair.

    Ces omissions du texte ne sont pas un accident, elles reflètent un accord sur l’idée que, jusqu’en 2030, chaque pays fera ce qu’il peut/veut et que la CCNUCC se contentera de résumer les « contributions projetées telles qu’elles seront déterminées au niveau national [“intended nationally determined contributions – INDCs”] ». Aucun pays n’a contesté cette voie suicidaire, aucun n’a proposé d’inscrire dans le texte en négociation que nous avons besoin d’un objectif mondial pour réduire les émissions mondiales à un maximum de 40 Gt d’équivalent CO2 d’ici 2025, afin d’éviter un réchauffement de 4° C à 8° C.

 

 

Le centre du débat ? 

 

En examinant le texte en négociation, il est clair que ce qui semble être au centre de la controverse n’est pas de combien il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais le conflit supposé entre les pays développés et en développement. Le mot développement apparaît 247 fois dans le texte en négociation, pays en développement 410 fois et pays développés 342 fois. Le débat qui traverse le texte porte surtout sur qui doit faire quoi pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, sur les mécanismes flexibles (marchés du carbone) qui vont être mis en place, sur la manière dont chacun fera le rapportage, sur le genre de processus de vérification qui sera établi pour les différents types de pays et sur le genre de soutien financier et technologique qui existera pour mettre en œuvre les mesures d’atténuation.

    En général, la position des pays développés tend à diluer la différence entre pays développés et en développement, en faisant usage de l’expression « toutes les parties » (134 mentions dans le texte). De l’autre côté, les pays en développement veulent garder le pare-feu entre pays développés et en développement.

    Le groupe des Like-Minded Developing Countries (LMDC), qui comprend l’Algérie, l’Argentine, la Bolivie, Cuba, la Chine, la République démocratique du Congo, la République dominicaine, l’Équateur, l’Égypte, l’Inde, l’Iran, l’Irak, le Koweït, la Libye, la Malaisie, le Nicaragua, le Pakistan, le Qatar, l’Arabie saoudite, Sri Lanka, le Soudan, la Syrie et le Venezuela a inclus dans le texte de négociation les paragraphes suivants, qui montrent son approche de la question « pays développés et en développement »:

 

« Les pays développés  s’engageront à appliquer des réductions absolues des émissions au cours de la période de 2021–2030, conformément à un budget mondial d’émission incluant leur responsabilité historique, à travers des objectifs d’atténuation au niveau de l’ensemble de leurs économies (“ economy-wide ”), quantifiables, couvrant tous les secteurs et tous les gaz à effet de serre, mis en œuvre principalement au niveau national, qui peuvent être agrégées et qui sont comparables, mesurables, rapportables et vérifiables, de type, portée, ampleur et couverture plus ambitieux que ceux entrepris en vertu de la Convention et de son Protocole de Kyoto pendant la période pré-2020, et communiqués et mis en œuvre sans aucune condition ». 

 

D’autre part, « les pays en développement devraient s’engager à prendre des mesures d’atténuation renforcées et diversifiées (“Diversified Enhanced Mitigation Actions” – DEMAs) pendant la période 2021–2030. Elles peuvent inclure, entre autres, des réductions relatives d’émissions; des objectifs d’intensité ; des activités dans le cadre de Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts dans les pays en développement (REDD ) et d’autres plans, programmes et politiques; des approches communes d’atténuation et d’adaptation ; des émissions nettes évitées, qui peuvent se manifester également comme co-avantages de l’adaptation, conformément à leurs circonstances particulières et besoins spécifiques ».

 

Il est vrai que le maintien de la délimitation entre pays développés et en développement est un sujet de débat réel si on veut que les pays développés n’échappent pas à leur responsabilité historique, et que tous les pays prennent des engagements en fonction du principe de la responsabilité commune mais différenciée [principe inscrit dans la Convention Charte des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) NDT]. Mais cette question sert aussi d’écran de fumée pour les accords qui ont été passés entre les (grands) pollueurs – un développé et l’autre en développement. La Chine, qui a rattrapé les niveaux d’émissions des pays développés, garde le titre de pays en développement, mais rend un mauvais service aux autres pays en développement en passant un très mauvais accord avec l’un des plus grands pollueurs du monde, les Etats-Unis. Le très médiatisé accord USA-Chine de l’an dernier illustre la façon dont les États-Unis et la Chine, deux des plus grands pollueurs, ont décidé de ne pas faire ce qui est nécessaire pour 2025/2030. Ces deux grands pollueurs représentent plus de 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Leur accord est un accord de « laissez-faire » par lequel la Chine s’engage à respecter un pic de ses émissions en 2030 (au-delà, elle les réduira en termes absolus), tandis que les États-Unis réduiront les leurs de 15 % en 2025 par rapport au niveau de 1990. Pour rappel, l’UE s’est engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990.

    Voilà ce qui est au cœur de la négociation de Paris et, avec ces réductions d’émissions des Etats-Unis et de la Chine, les autres pays ne feront pas beaucoup plus parce que, comme ils l’ont exprimé, cela affaiblirait leur compétitivité dans l’économie mondiale. La négociation sur le texte porte sur la manière d’emballer et de vendre un mauvais accord à l’opinion publique ainsi que sur la manière de diluer la responsabilité des pollueurs du monde développé et des pays en développement émergents. Il est probable que la question de la « responsabilité commune mais différenciée » sera résolue en ajoutant certaines « expressions innovantes » telles que « à la lumière des différentes circonstances nationales », comme lors de la COP20 au Pérou.

 

 

Ouvrir la porte à de nouveaux marchés du carbone 

 

En dépit de l’échec des marchés du carbone, le débat [entre négociateurs, NDT] ne porte pas sur la question de savoir si ce mécanisme devrait continuer ou non, mais sur la façon d’améliorer les marchés du carbone actuels et d’en développer de nouveaux. Aucun pays n’a soumis de texte pour éviter les mécanismes de marché ou REDD [REDD distribue des droits d’émission aux propriétaires de forêts qui réduisent la déforestation ou la dégradation des forêts dans les pays en développement, NDT]. Les mécanismes de marché du carbone sont mentionnés 27 fois et REDD 13 fois. Le texte mentionne un « Mécanisme de Développement Propre renforcé (MDP ) », le « système d’échange d’émissions (ETS) », « REDD plus », un « mécanisme de marché dans le secteur de l’utilisation des terres », des « schémas sub-nationaux et régionaux » et le « prix du carbone ». La lecture du texte montre que la COP21 ouvrira la porte à de nouveaux mécanismes de marché du carbone, mais que leur développement réel sera convenu aux COP futures.

 

 

Financement : la promesse oubliée 

 

Le financement (de l’adaptation au changement climatique et de la mitigation, NDT) était censé être l’un des engagements les plus importants des pays développés envers les pays en développement. Ce thème est maintenant relégué au second plan. La dette climatique envers ceux qui souffrent des impacts du changement climatique, mais qui sont les moins responsables, est en voie d’être oubliée. Dans le texte, le mot « finance » est mentionné 203 fois, mais, quand il s’agit de venir avec des chiffres concrets, il n’y a que 14 maigres citations avec seulement quatre propositions :

 

« [Pays développés] [Tous les pays dans une position de le faire] s’engagent à fournir au moins 50 milliards de dollars par an pendant la période 2020–2025, au moins 100 milliards de dollars par an d’ici [2020] [2030] pour les activités d’adaptation de [pays en voie de développement]. 

 

La provision financière à laquelle se sont engagés les pays développés sera basée sur un plancher de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. 

 

« Les pays développés devraient s’engager sur un objectif de court terme quantifié de 200 milliards de dollars par an d’ici 2030, »

 

« [Les pays développés] [Parties en mesure de le faire, compte tenu de l’évolution des capacités] doivent fournir 1 pour cent du produit intérieur brut par an à partir de 2020 et des fonds supplémentaires au cours de la période pour le Fonds vert pour le climat pré-2020 (GCF) » 

 

Sur base des promesses actuelles, il y a peu de confiance à accorder à ces promesses chiffrées. A la COP20 à Lima, on a salué triomphalement le fait d’avoir atteint 10 milliards de dollars US – sur les 100 milliards de dollars qui avaient été initialement promis il y a plusieurs COP. De plus, dans le texte, les pays développés préfèrent le terme « mobiliser » au terme « fournir » et ne limitent pas l’obligation de financement aux pays développés, mais à tous les pays en mesure de contribuer, diluant ainsi davantage les responsabilités des pays développés en les étendant aux pays en développement. Le terme « mobiliser » n’est associé à aucun chiffre en particulier et comprend en général la mention « A partir d’une variété de sources, publiques et privées, bilatérales et multilatérales, y compris les sources alternatives » – ce qui signifie que même des prêts et les marchés du carbone seront comptabilisés comme mobilisation des ressources financières.

 

 

Droits et respect 

 

Les droits de l’homme sont mentionnés sept fois, principalement dans le préambule et les objectifs. Il n’y a pas de propositions concrètes visant à garantir les droits de l’homme dans l’atténuation, le financement, le marché ou la technologie. Il y a une seule mention dans [le passage sur] l’adaptation [au changement climatique, NDT], et seulement en termes généraux. Dans certains cas, la mention des droits de l’homme est au même niveau que celle du droit au développement. Les droits des peuples autochtones apparaissent seulement deux fois dans le préambule. Les droits des mi­grant·e·s ne sont pas mentionnés, et le chapitre sur les pertes et les dommages [dus par exemple aux phénomènes météorologiques extrêmes tels que les cyclones, NDT] ne mentionne que deux fois la « migration organisée et la réinstallation planifiée » [des victimes, NDT]. La proposition des « droits de la Terre Mère » ou « droits de la nature » ne fait pas partie des options à discuter. La Terre-Mère n’est mentionnée qu’une seule fois, en relation avec la nécessité de « protéger l’intégrité de la Terre Mère », sans autre développement.

    A propos des mécanismes de mise en conformité, il y a ceux qui disent, « pas de dispositions spécifiques nécessaires » et ceux qui suggèrent un « Comité de conformité » avec « une section de l’exécution et une section de la facilitation ». La possibilité de sanctions [en cas de non-­respect des engagements, NDT] est mentionnée et le texte suggère le « recours à des instruments économiques tels que les mécanismes de marché comme un moyen de promouvoir le respect ». La Bolivie a inclus la proposition d’un « Tribunal international de justice climatique ».

    Ces mentions des droits et de la reconnaissance de ceux qui sont sur la ligne de front du changement climatique sont des promesses vides, sans aucun des engagements concrets qui devraient les accompagner. Or, les droits des peuples et de la nature doivent être au cœur des négociations sur les solutions au changement climatique.

 

 

Lutter pour notre avenir maintenant, pas à Paris 

 

La nature du changement climatique avec ses mécanismes de rétroaction est telle que nous récoltons maintenant ce que nous avons semé dans le passé. Suivant cette logique, ce que nous semons maintenant est ce que nous allons récolter dans les 10 prochaines années, et, si le texte actuel doit être la base de cet avenir, nous n’aurons à parler d’aucun avenir.

    Il n’est pas question de tricher, d’acheter ou de créer des tours de passe-passe pour retarder l’action jusqu’en 2030 – le moment décisif de l’action est maintenant. Et ce sont des actions très concrètes et claires qui doivent être prises :

 

  • laisser 80 pour cent des réserves connues de combustibles fossiles dans le sol
  • réduire drastiquement les émissions pour atteindre les objectifs mondiaux – 44 gigatonnes (Gt) de CO2 en 2020, 40 Gt en 2025 et 35 Gt en 2030
  • réduire les dépenses militaires et de défense, qui représentent plus de 1,5 billions de dollars à l’échelle mondiale, et canaliser ces fonds pour fournir aux pays en développement des finances publiques pour l’adaptation, l’atténuation, ainsi que pour les pertes et dommages
  • la reconnaissance, le respect et la promotion des droits des personnes et de la nature.
  •  

Un mauvais accord à Paris verrouillera des conséquences catastrophiques pour l’avenir de la planète et de l’humanité. L’urgence de la tâche à accomplir ne peut pas être assez soulignée – nous devons agir maintenant.

 

Pablo Solon

Focus on the Global South