FSM et révolution tunisienne
FSM et révolution tunisienne : La révolution tunisienne n'a pas dit son dernier mot
Le peuple tunisien est aux avant-postes de la révolution en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Il a été le premier à se soulever et le premier à renverser son dictateur; il jouit d’un mouvement syndical implanté dans tout le pays, avec des traditions de lutte, même si ses sommets sont bureaucratisés; il dispose aussi d’une gauche politique anticapitaliste et d’un mouvement féministe qui ont été et sont toujours en première ligne du combat. De tels atouts sont importants et placent sur ses épaules une responsabilité historique.
Notre délégation a rencontré la direction du Parti des patriotes démocrates unifiés (PPDU), emmenée par son nouveau secrétaire général – après l’assassinat de Chokri Belaïd – Zied Lakhdhar, qui est, avec le Parti des travailleurs tunisiens (PTT) (ex-PCOT), l’une des deux organisations politiques les plus importantes de la gauche. Nous avons aussi rencontré une délégation de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO), ainsi que le «Front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution», qui réunit douze partis politiques et associations, et dont le porte-parole est le principal dirigeant du PTT, Hamma Hammami.
Les deux visages de la contre-révolution
Un large accord s’est dégagé de ces échanges sur l’importance de construire le Front populaire comme alternative politique (troisième pôle) aux deux principaux partis de la contre-révolution, les libéraux de Nidaa Tunes (Appel de la Tunisie) – transfuges en large partie de l’ancien Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali – et le parti islamiste Ennahdha. Cela signifie qu’il est certes possible de conclure tel ou tel accord circonstanciel avec des éléments libéraux pour la défense des libertés et le refus de la violence politique, mais qu’il est hors de question de nouer une alliance avec Nidaa Tunes, qui impliquerait de mettre en sourdine le programme social de la révolution. Nous ne pouvons que souhaiter qu’une telle orientation soit appliquée sans fléchir dans la période à venir.
On observe une certaine connivence entre anciens bénalistes (suppôts de l’ex-dictateur) et islamistes sur le terrain de la lutte contre le mouvement social. Ainsi, les Ligues de protection de la révolution (milices soutenues par Ennahdha) ne s’en prennent-elles pas seulement à d’anciennes figures de la dictature, mais de plus en plus à l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) et à la gauche. En première ligne de l’attaque contre les locaux de l’UGTT à Tunis, le 4 décembre dernier, elles sont soupçonnées d’avoir aussi joué un rôle dans la préparation de l’assassinat de Chokri Belaïd. C’est pourquoi, le mouvement ouvrier et les militant·e·s des droits humains tunisiens et internationaux doivent intensifier la mobilisation pour que toute la lumière soit faite sur les commanditaires de ce crime odieux.
Lorsque le principal actionnaire de la Société tunisienne de biscuiterie (SOTUBI), le groupe des frères Mabrouk, dont l’un est beau-fils de Ben Ali, avec la complicité d’une multinationale de l’alimentation, licencie le secrétaire général de l’UGTT dans l’entreprise (cf. page 6) pour intimider les travailleurs·euses, il bénéficie du soutien de l’appareil d’Etat (ministère de la justice), aux mains d’Ennhahda. En réalité, les recettes du FMI, que préconisent autant les libéraux que les islamistes, impliquent un plan d’ajustement structurel brutal, incompatible avec le respect des droits démocratiques et sociaux. C’est sur ce point que la contre-révolution rapproche l’ancien appareil de la dictature du parti islamiste Ennahdha, qu’il réprimait pourtant sans merci avant le 14 janvier 2011.
Unifier les révolutionnaires sur le terrain
La révolution tunisienne a soulevé une vague sociale formidable, mais sa puissance même amène aujourd’hui ses principaux ennemis à s’entendre pour lui porter des coups et endiguer son flot. Il faut être aveugle pour ne pas voir le fil conducteur qui lie entre eux les nervis salafistes qui s’en prennent aux jeunes des quartiers qui écoutent une musique «impie» ou terrorisent les femmes non voilées (très nombreuses dans le pays) – nous avons entendu plusieurs témoignages à ce propos; les milices du pouvoir, qui agressent certes des libéraux, mais de plus en plus des manifestant·e·s de gauche, des femmes, des syndicalistes, des artistes; l’appareil d’Etat, dont la police et les tribunaux menacent les activistes de lourdes peines (avec des accusations forgées de toutes pièces); les milieux bourgeois qui relèvent la tête et veulent intimider les salarié·e·s…
Face à la contre-révolution, il est urgent que les forces révolutionnaires se rassemblent. Les femmes et les militantes féministes sont déjà aux avant-postes de la résistance. Et un pas important a été réalisé, en octobre dernier, avec la constitution du Front populaire, qui défend une politique de gauche indépendante, autant des libéraux que des islamistes. Les sondages (très aléatoires) le créditent aujourd’hui de quelque 10% des suffrages, mais nul ne peut dire si les élections, dont la date n’est pas encore fixée, pourront se dérouler dans des conditions démocratiques acceptables. Dans tous les cas, il importe désormais que cette force s’incarne massivement sur le terrain, dans les quartiers, dans tout le pays, en développant un vaste réseau de comités pour porter ensemble les objectifs démocratiques et sociaux de la révolution. C’est sur ce chemin semé d’embûches qu’il nous faut soutenir aujourd’hui la révolution tunisienne.
Jean Batou