Kurdistan-Turquie
Kurdistan-Turquie : Pourparlers entre le PKK et l'État turc
Le 21 mars 2013, le jour du Nouvel An kurde, l’appel à la paix d’Abdullah Öcalan a été lu à une foule de plus d’un million de personnes rassemblées à Diyarbakir (1). Dans ce message historique annonçant la reprise des négociations avec l’Etat turc, Öcalan a demandé à la guérilla de se retirer en dehors des frontières de la Turquie. Cet appel et son appréciation font l’objet de débat dans la gauche turque et kurde. Nous publions ci-dessous une première contribution à cette discussion.
Bien que l’annonce des pourparlers ait été faite au mois de mars 2013, les négociations avaient en réalité commencé depuis plusieurs mois. L’assassinat de trois militantes kurdes à Paris est également en lien avec ces pourparlers. L’Etat turc et Öcalan semblent avoir trouvé des accords sur certaines revendications du PKK. Toutefois, les deux parties restent réservées sur le contenu des protocoles signés.
Après l’appel d’Öcalan, les dirigeants du PKK ont annoncé le début du retrait des forces de la guérilla au Kurdistan irakien. Ce processus devra prendre plusieurs mois.
Après cette étape, le PKK s’attend à ce que l’Etat turc supprime tout obstacle à l’usage et à l’enseignement de langue kurde. Plus de 10 000 cadres politiques et sympathisants arrêtés ces dernières années devront être libérés. Enfin, les pouvoirs des autorités locales devront être renforcés et le régime décentralisé.
Cette nouvelle phase historique dans la question kurde ne peut pas être comprise sans une analyse générale du contexte actuel au Moyen-Orient. Le soutien clairement affirmé par la Maison-Blanche et par le Parlement européen au message d’Öcalan confirme d’ailleurs que son appel était attendu et voulu. Le PKK est ainsi devenu une force incontournable au Moyen-Orient alors même que son projet politique n’est aucunement conciliable avec les velléités des régimes autoritaires dans la région ni avec celles des Etats-Unis et de l’Union européenne. En effet, le PKK est une organisation socialiste, qui fait une critique radicale de la modernité capitaliste, de l’Etat-nation et de l’impérialisme. En contrepartie, il propose une confédération démocratique des peuples pour tout le Moyen-Orient.
La résurgence de la question kurde dans la région
Malgré les calculs sur l’écroulement du régime baasiste en Syrie, à la suite de l’action de l’opposition politique et armée à l’intérieur du pays, ce régime a exercé une répression féroce contre les opposants et sa chute semble être de plus en plus incertaine. Des milliers d’étrangers armés accourus dans le pays pour combattre le régime n’ont pas non plus suffi à faire partir Assad. Quant à une intervention extérieure armée, ses chances d’aboutir à long terme sont réduites du fait qu’il n’existe pas une réelle opposition organisée pouvant faire régner l’ordre en Syrie.
Dans ce contexte syrien, l’organisation kurde la plus importante, et la seule qui dispose de sa propre armée, est l’Unité de défense du peuple (YPG). Elle s’est déclarée opposée à toute intervention extérieure et a pris position en faveur d’une solution imposée par l’opposition démocratique intérieure. Le YPG est en réalité une organisation fondée et soutenue par le PKK dans le Kurdistan syrien. Le projet politique de ce parti est inspiré du projet politique d’Öcalan, qui a développé une stratégie régionale détaillée pour les Kurdes depuis son arrestation en 1999. Dans le conflit syrien, les Kurdes joueront un rôle central, la partie qu’ils soutiendront pouvant imposer son pouvoir. Pour le moment, les Kurdes se sont limités à revendiquer une autonomie démocratique en Syrie, le YPG ne soutient pas le régime baasiste et reste sceptique à l’égard de l’Armée libre de Syrie.
La Turquie, qui avait tout misé sur la chute de Damas, s’est retrouvée piégée dans la crise syrienne, qui porta sur le devant de la scène régionale les Kurdes et le PKK.
D’un autre côté, les négociations actuelles avec le PKK ne sont pas indépendantes des projets en cours contre l’Iran, prochaine étape après la crise syrienne. Le pays est une poudrière prête à exploser. Le PKK y est présent avec une autre organisation armée, très influente parmi les Kurdes d’Iran, le Parti pour une vie libre au Kurdistan.
Enfin, le PKK gagne de plus en plus de terrain au Kurdistan irakien et il représente une force incontournable dans l’équilibre du pays. Il y dispose notamment d’un parti politique, le Parti pour une solution démocratique au Kurdistan.
Le PKK et les Kurdes sont devant une chance historique, mais périlleuse. En effet, les pourparlers engagés en Turquie seront confrontés à des difficultés majeures. De plus, l’entrée en guerre de Hezbollah en Syrie et l’implication croissante dans ce conflit de l’Iran et de la Russie font courir aux Kurdes le risque de se trouver pris entre plusieurs feux. Le contexte actuel peut se solder par de nouveaux massacres des Kurdes, qui ont toujours été sacrifiés devant les intérêts opposés des forces impérialistes régionales et internationales. Le PKK est conscient de ces enjeux et il voit bien que ces puissances feront alliance à long terme pour tenter de le liquider tant sur le plan politique que militaire. Dans le passé, le PKK a toujours su mettre à profit les conflits d’intérêts entre les puissances impérialistes. Toute la question sera de savoir s’il va également pouvoir le faire dans le contexte actuel.
Hiznî Girgimî
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1 Le texte en français est disponible sur : www.actukurde.fr/actualites/457/l-appel-historique-a-la-paix-du-leader-kurde.html