Avec ou sans l’ONU, NON à la guerre en Irak

Avec ou sans l’ONU, NON à la guerre en Irak

Le 21 février 2003, l’écrivain et militant anti-impérialiste londonien, d’origine pakistanaise, Tariq Ali, concluait une libre opinion publiée par le Guardian sur ce jugement: «Nous devons insister sur le fait qu’une guerre soutenue par l’ONU serait aussi immorale et injuste que celle que prépare aujourd’hui le Pentagone – parce que ce serait la même guerre». Il faut dire qu’en Angleterre, si 85% des personnes interrogées se disent opposés à une intervention armée des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, sans l’aval de l’ONU, l’opposition se dissipe en partie lorsque la légitimité onusienne est invoquée.

La stratégie US

Dans les deux derniers numéros de ce journal, nous avons insisté sur le fait que les fractures actuelles au sein du Conseil de sécurité de l’ONU sont à prendre au sérieux. Sur le fond, elles sont le révélateur de trois évolutions politiques mondiales qui ont marqué cette dernière décennie: l’effondrement du Bloc soviétique, les progrès rapides de l’unité européenne et la montée en puissance de la Chine. Ces évolutions ont forcé les Etats-Unis à définir une nouvelle stratégie pour assurer la pérennité de leur hégémonie mondiale. Celle-ci accorde une importance considérable à leur supériorité militaire.


Pourquoi la guerre? Quelle guerre?

Par Jacques Bricmont,

professeur à l’ Université de Louvain.


«(…) Imaginons par impossible que [les Etats-Unis] renoncent à attaquer et que le gouvernement irakien reste en place. Que vont penser les Brésiliens, les Argentins, les Vénézuéliens, les Palestiniens et, de façon croissante, les autres peuples du tiers-monde? Que l’empire américain n’est pas invincible après tout et que les transformations sociales et politiques auxquelles ils aspirent ne seront plus nécessairement bloquées, comme elles l’ont été tant de fois dans le passé, par une intervention des Etats-Unis. Et c’est bien pour cela, plus encore que pour les raisons traditionnellement invoquées (le pétrole, Israël, etc.), que la guerre est inévitable. Mais si la guerre est menée sans l’aval du Conseil de Sécurité de l’ONU, elle sera extrêmement impopulaire, même aux Etats-Unis. Leur seul espoir résiderait alors dans une guerre-éclair, avec relativement peu de morts visibles, et c’est bien ce vers quoi s’oriente leur stratégie, dite de «choc et peur». Huit cents missiles de croisière en deux jours pour éliminer tout ce qui rend la vie possible dans une ville relativement moderne comme Bagdad. Eliminer «l’eau et l’électricité» de façon à ce qu’en quelques jours, les Irakiens soient «physiquement, émotionnellement et psychologiquement épuisés», si l’on en croit des déclaration faite à la chaîne CBS par Harlan Ullman, conseiller de l’armée américaine. Faisant référence à l’effet d’Hiroshima, il souhaite faire en sorte que les Irakiens «abandonnent, pas qu’ils combattent (…)» (Jeunes à Contre Courant, 11 mars 2003, texte complet sur notre site).



Certes, la diplomatie arrogante de l’Administration Bush jr. ne fait pas l’unanimité parmi les porte-paroles autorisés de la classe dominante US, mais ceux-ci sont tous d’accord sur un objectif fondamental: garantir à long terme la suprématie économique et politique de l’impérialisme US dans le monde en faisant le moins de concessions possibles à ses alliés et concurrents. Pour cela, il faut absolument empêcher le rapporchement de l’Europe, de la Russie et de la Chine, qui pourraient mettre en échec telle ou telle initiative US.

L’ONU ne soutiendra pas la guerre

Les désaccords actuels au sein du Conseil de sécurité de l’ONU s’expliquent donc en dernier ressort par la montée des rivalités entre grandes puissances capitalistes. On notera que l’opposition de la France et de l’Allemagne a permis de rassembler un large éventail de forces, souvent plus timides au départ, notamment la Russie et la Chine. Elle a aussi reçu le soutien résolu des principales églises, en particulier du pape, forçant notamment les autorités italiennes ou polonaises à modérer leur enthousiasme pour Washington. Elle a aussi exercé une pression directe sur les positions des pays de l’Est, candidats à l’entrée dans l’UE, qui dépendent majoritairement des investissements allemands, autrichiens et français.


A l’heure où nous mettons sous presse, les puissances opposées à la résolution actuelle des Etats-Unis, de l’Angleterre et de l’Espagne, se sont suffisamment renforcées pour annoncer ouvertement qu’elles opposeront un veto – dont disposent trois d’entre elles – contre une éventuelle décision majoritaire du Conseil de sécurité. Pendant ce temps, le compte à rebours pour la guerre a été prolongé, donnant plus d’espace et de temps aux mobilisations anti-guerre dans le monde entier. Les divisions inter-impérialistes n’ont-elles pas toujours favorisé le développement des mobilisations anti-impérialistes…

Notre refus et le leur

Mais c’est à ce point qu’il convient de garder la tête froide. L’opposition à la guerre au sein du Conseil de sécurité (suite à un vote majoritaire ou au veto de l’un ou de plusieurs de ses membres permanents) n’est pas de la même nature que l’opposition à la guerre au sein de la société. La première se fait l’interprète d’intérêts impérialistes lésés par la politique unilatérale des Etats-Unis. La seconde, est porteuse d’une dynamique anti-impérialiste, qui cible bien entendu prioritairement la politique belliciste du trio Bush-Blair-Aznar, et les dépenses militaires qu’elle impliquent, mais s’inscrit dans le refus des effets de la mondialisation capitaliste et des nouvelles entreprises coloniales qu’elle suscite. Dans ce sens, il est important de ne pas endosser une argumentation fondée sur la soi-disant légitimité du Conseil de sécurité et de ses cinq parrains.


Rappelons que si l’ONU compte 191 Etats, son Conseil de sécurité n’est formé que 15 membres, dont 5 seulement ont un statut «permanent» et détiennent un droit de veto (Etats-Unis, Angleterre, France, Russie et Chine). Comme le note The Economist, l’hebdomadaire de la City de Londres, «Si le Conseil de sécurité donnait à l’Amérique le droit d’attaquer l’Irak, la guerre deviendrait légale, mais pour bien des gens, peut-être la majorité, elle demeurerait toujours illégitime. Dans l’opinion d’une immense majorité d’Africains, d’Arabes et de Latino-américains, mais aussi de bien des Européens, le Conseil de sécurité ne ferait qu’agir comme instrument de la politique étrangère des Etats-Unis» (22-28 février).


C’est pourquoi nous devons mettre à profit ces prochains jours pour multiplier les actions autonomes, à l’initiative des collectifs anti-guerres. Après les grèves étudiantes internationales du 5 mars – «Books Not Bombs!» – et les manifestations féministes du 8 mars, la convocation d’un Shadow Parliament élu par l’ensemble des collectifs britanniques, le 12 mars, en face de Westminster, offre une magnifique démonstration des capacités d’auto-organisation du mouvement. Dans la même optique, il importe de concrétiser l’appel du Comité Exécutif de la Confédération Européenne des Syndicats, réuni à Athènes les 6 et 7 mars, soutenu par l’Union Syndicale Suisse, de «marquer l’opposition des syndicats à la guerre par des interruptions de travail partout en Europe, le 14 mars à midi». A Genève, la Communauté Genevoise d’Action Syndicale appelle à un rassemblement sur le pont du Mont-Blanc, pour y signer notamment un engagement à faire une demi-journée de grève, de 8h. à 12h., au lendemain des bombardements, si nous n’arrivons pas à les empêcher. Il n’y a pas une minute à perdre…


Jean BATOU