L’auto-émancipation remise au goût du jour

L’auto-émancipation remise au goût du jour

Avec son sixième numéro, la revue ContreTemps livre une nouvelle fois un ouvrage de grande qualité, qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion par un débat riche, sérieux et pluraliste. «Nouveaux libertaires» et «nouveaux communistes» affrontent leurs points de vue sur la question de l’auto-émancipation, remise au goût du jour par l’émergence des «nouveaux mouvements sociaux» ou, plutôt, par la ré-émergence d’une lutte sociale radicale, diversifiée et massive.


Une revue qui a fait ses preuves

Nous avons déjà eu l’occasion de présenter la revue ContreTemps (solidaritéS n°11 et n°20), lancée en mai 2001 avec un premier numéro sur «le retour de la question sociale».


Depuis près de deux ans, les questions de l’émancipation, du rapport des intellectuels aux mouvements sociaux ou encore de l’impérialisme (sur la logique guerrière étasunienne, voire le n°3, fév. 2002) ont été abordées avec le soucis toujours affirmé d’ouvrir le débat sans s’enfermer dans un repli identitaire stérile, quel qu’il soit. Il en ressort des convergences stimulantes entre, par exemple, la tradition marxiste et les nouvelles sociologies.


A noter que le prochain numéro (mai 2003) abordera la question des genres, des classes et des races et que le suivant traitera des extrêmes droites en Europe.

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Derrière les fortes aspirations de transformation sociale, que les mobilisations de plus en plus importantes engendrent, commence à se poser la question des stratégies à mettre en place. Depuis le début des années quatre-vingt, alors que le fort reflux de la gauche combative face aux thuriféraires du néolibéralisme, docilement épaulés par une social-démocratie dégénérescente, n’avait laissé d’autre choix que celui de la résistance, l’apparition au devant de la scène publique d’un mouvement revendicatif de plus en plus massif, ouvre la voie à l’ébauche de perspectives de transformation sociale. Or, il ne peut être question de puiser, tel quel, dans nos divers héritages, tel ou tel évangile pour répondre aux enjeux qui nous font face aujourd’hui. A l’inverse, oublier les traditions auxquelles nous appartenons serait non seulement une erreur, mais aussi une perte particulièrement dommageable, notamment à l’heure où la gauche institutionnelle s’est définitivement affranchie de son passé pour gérer, sans états d’âme, les affaires publiques de la façon que l’on connaît. Le reniement par la social-démocratie de son passé, de ses combats antérieurs et de ses principes fondateurs, est constitutif d’une perte de repères politiques qu’il ne faut pas négliger. Ainsi, s’il est à éviter de «ressusciter» d’anciennes pratiques ou doctrines éculées, se serait pure folie que de ne pas s’inspirer des leçons de notre passé au regard des impératifs présents.

Entre singularités et convergences

Le dernier numéro de ContreTemps s’inscrit totalement dans cette dialectique réflexive entre expériences passées et présentes. Sept articles abordent les mouvements sociaux d’aujourd’hui, dans leurs caractéristiques à la fois régionales et internationalistes, libertaires et marxistes. A la lecture de l’article d’Hélène Pernot1 sur Sud-PTT, on voit se dessiner l’image d’un mouvement intégrant certains traits marxistes dans son analyse de la société et développant des pratiques, ainsi que des formes organisationnelle, proches de celle du syndicalisme révolutionnaire. Le cas du néo-zapatisme, qui stimule la solidarité et l’imaginaire de militantes et de militants dans le monde entier, est l’occasion pour John Holloway, Daniel Bensaïd, Atillio Borón et Jérôme Bachet2 de se pencher sur la question de la prise du pouvoir. Enfin, une troisième partie du dossier s’attache à discuter des divergences et des convergences entre marxistes et anarchistes d’un point de vue historique. Si les controverses fondatrices qui ont secoué l’Association Internationale des Travailleurs sont évidemment mises en lumières, sans pour autant tomber dans une lecture par trop binaire et manichéenne de l’histoire de la première Internationale, les réflexions développées dans ces derniers articles s’attachent à montrer les liens existants entre deux courants du mouvement ouvrier que d’aucuns ont trop souvent tendance à considérer comme fondamentalement antinomiques. Or, il est à relever tout d’abord que ni les marxistes, ni les anarchistes, ne constituent des blocs homogènes, loin s’en faut, et par ailleurs qu’au sein de ces deux traditions, de nombreuses tendances et personnalités se trouvaient à la croisée des chemins. On pense bien en tendu à Rosa Luxemburg, mais aussi aux «conseillistes», à Victor Serge ou encore à Walter Benjamin qui est l’objet d’un article de Michaël Löwy3.


Au regard du mouvement social actuel et des enseignements que l’on peut tirer de l’histoire du mouvement ouvrier, il semble qu’un consensus de base autour du principe de l’auto-émancipation puisse s’établir. C’est en tous les cas ce vers quoi ContreTemps nous invite à converger, afin de pouvoir, ensemble, penser l’altérité comme une richesse fertile.


Erik GROBET

  1. Politiste au Centre de politologie de Lyon.
  2. John Holloway est professeur à l’Institut des sciences humaines et sociales de l’Université autonome de Puebla au Mexique, Daniel Bensaïd est enseignant en philosophie à Paris VIII, Atillio Borón est secrétaire exécutif du Conseil latino-américain des sciences sociales (CLASCO) et Jérôme Bachet est historien à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris et à l’Université autonome du Chiapas au Mexique.
  3. Sociologue au CNRS.