Turquie

Turquie : En mouvement pour la justice sociale, la liberté et la paix

Nous publions ici l’interview réalisée par notre camarade Gazi Sahin de Senol Karakas, l’un des porte-paroles du Parti révolutionnnaire socialiste ouvrier (DSIP) qui a participé activement à la résistance du Parc Gezi à Istanbul ces dernières semaines.

Peux-tu nous résumer la situation politique ces dernières années en Turquie?

 

Senol Karakas: En Turquie, les années 2000 ont été marqués par une série de combats d’un côté contre les «tabous» de la république kémaliste, de l’autre contre les politiques néolibérales du gouvernement AKP au pouvoir depuis 2002.

L’économie turque est en croissance depuis une quinzaine d’années. La dernière crise économique a eu lieu en 2001. La colère qu’elle a suscitée a abouti à l’effacement des partis traditionnels du centre. L’AKP est issu de la mouvance islamiste écartée du pouvoir en 1997 par un coup d’Etat. Ce parti a su profiter du chaos crée par la crise de 2001 et gagner les élections qui ont suivi.

La victoire de l’AKP n’a pas été bien vue par l’armée et la bureaucratie kémaliste qui ont entrepris de le chasser du pouvoir par un coup d’Etat. Nombre de crimes, comme des meurtres des prêtres chrétiens ou, en 2007, de Hrant Dink, journaliste socialiste arménien, ont été commis pour déstabiliser le gouvernement et en créer les conditions. Mais, à la surprise des putschistes et du gouvernement, des centaines de milliers de gens sont descendus dans la rue pour condamner l’assassinat de Dink. Ses funérailles ont remis en question la tradition sanglante des putschistes, mais aussi les fondements de la républiques kémaliste.

Au pouvoir, l’AKP appliquera une politique néolibérale dans l’intérêt de la grande bourgeoisie turque. Mais il a aussi fait des réformes pour « démocratiser » le pays et répondre aux critères d’adhésion de l’UE. L’enthousiasme de l’AKP pour la démocratie visait à écarter les menaces de putsch et le contrôle de l’armée sur le pouvoir. Il ont pu déjouer nombre de tentatives de coup d’Etat et dès 2007 des généraux impliqués ont été arrêtés et jugés. Plusieurs sont encore en prison.

Après leurs bons résultats économiques, leur victoire contre l’armée et leurs succès électoraux de 2010-11, le gouvernement et Erdogan ont montré un visage ouvertement néolibéral, autoritaire et répressif, à travers leurs politiques économiques, énergétiques, urbaines et d’immixtion dans la vie privée des gens : nombre d’enfant à avoir, avortement, consommation d’alcool…

Dans ce contexte, les socialistes révolutionnaires se sont battus, pour que les auteurs du précédent putsch soient jugés et aussi pour empêcher un coup d’Etat. Parallèlement, ils ont mené une lutte acharnée contre les politiques néolibérales de l’AKP. Mais on est entré dans une nouvelle étape avec la résistance de Gezi qui a vu naître un vrai mouvement populaire.

 

 

Que penses-tu en tant qu’anticapitaliste des événements de Gezi et de l’avenir du mouvement?

 

La résistance du type Gezi est une première dans la vie politique turque. Deux raison essentielles ont conduit à cette explosion sociale qui a vu des centaines de millier de jeunes manifester dans la rue: la terreur policière d’un côté, la conduite orgueilleuse d’Erdogan et le ras-le-bol accumulé face à sa politique néolibérale de l’autre.

Il y a divers éléments sociaux qui s’imbriquent. Le premier : des jeunes hommes et femmes sans expérience politique se sont mis en lutte pour la première fois. Cette part de résistants qui défend les libertés et s’élève contre les discriminations a joué un rôle déterminant. Quand les protestations se sont répandues dans le pays les nationaliste (kémalistes) se sont joints au mouvement. Cependant ils n’ont pas pu le dominer dans son ensemble.

Après avoir été éloigné du parc par la force policière, le mouvement continue à se rassembler pour discuter la suite dans des parcs d’Istanbul, sous forme de forums où des jeunes vivent pour la première fois une expérience de démocratie participative et développent des nouvelles formes de luttes.

Quant à l’avenir du mouvement de Gezi, il serait déterminant qu’il soutienne la lutte du peuple kurde et le processus de paix en marche. Sa continuité dépend beaucoup de sa transformation en mouvement qui exige la paix et parallèlement la démocratisation du pays. Pour que cela arrive, le travail des socialistes internationalistes est aujourd’hui important.

 

 

Un processus de paix est en effet en cours début 2013 entre mouvement de libération kurde et gouvernement. Où en est-il?

 

Le peuple kurde lutte depuis des décennie et le processus de paix en est le produit. Ce peuple privé de ses droits élémentaires est en train de les gagner. Le mouvement kurde pense qu’on est en train d’entrer dans le seconde phase du processus. La première phase avec la sortie des combattants kurdes hors du pays touche à sa fin. La deuxième phase devrait impliquer la reconnaissance constitutionnelle des droits démocratiques du peuple kurde. Pour cela le mouvement kurde attend des avancées concrètes du gouvernement. C’est là qu’apparaissent des problèmes car rien de crédible n’a été réalisé par le gouvernement jusqu’ici. Ceci crée une ambiance de méfiance dans le mouvement kurde.

En tant que socialistes à l’Ouest du pays, nous avons impulsé une campagne à l’enseigne d’une « Coalition du OUI à la PAIX ». C’était initialement une campagne en faveur de la première phase du processus, qui a été soutenue par une large pan de la population. Elle prépare maintenant la seconde phase pour dire au gouvernement «C’est à vous de faire des pas en avant!» La Coalition pense que les force démocratiques doivent faire la pression sur le gouvernement avec l’énergie de lutte issue du mouvement de Gezi qui pourra sérieusement aider le processus de paix.