(Fleurier, Val-de-Travers

(Fleurier, Val-de-Travers : Chronique (dramatique) d'une liquidation politique

Cette année, la presse neuchâteloise annonçait le décès d’un enseignant retraité, Gilbert Vuillème, âgé de 90 ans. Aucun hommage ne lui fut alors rendu. Il ne fit l’objet d’aucune nécrologie. L’amnésie historique propre au « consensus neuchâtelois » fonctionne admirablement. Il est temps de la briser.

 

Au Val-de-Travers, Gilbert Vuillème fut jusqu’en octobre 1958 «la cheville ouvrière du POP. Il existait en effet à Fleurier une section de ce parti dont faisaient partie quelques étudiants et ouvriers de l’entreprise Dubied – alors le principal employeur du Val-de-Travers – la plupart incognito, car il ne faisait pas bon s’afficher communiste au Vallon». *

On sait le choc subi par les partis communistes après le « rapport attribué au camarade Khrouchtchev », premier secrétaire du PCUS, lors du 20e congrès de ce parti (février 1956), sur les crimes de Staline. Un choc qu’amplifia encore l’écrasement de « la révolution hongroise des conseils ouvriers » (novembre 1956) par l’armée soviétique.

Le 16 juin 1958, à Budapest, fut pendu le premier ministre de la révolution, Imre Nagy, vétéran du communisme hongrois. Ce fut l’une des (nombreuses) causes qui menèrent des militants du POP à quitter ce parti, l’accusant d’être « à la remorque de la politique intransigeante et quelquefois imbécile de l’URSS ». Le POP-­Fleurier adhéra donc à un nouveau parti fondé en octobre 1958, la Nouvelle Gauche socialiste (NGS).

En décembre 1957, il avait fait aboutir «un référendum pour s’opposer à une modification du règlement en matière d’impôts (…). Contre tous les partis (y compris les socialistes), le POP gagna la bataille référendaire en mars 1958. Simultanément, les communistes fleurisans avaient lancé une initiative proposant une autre répartition des charges fiscales qui fut soumise au vote populaire les 23 et 24 mai 1959. L’initiative fut repoussée, mais recueillit pourtant 38% des suffrages.»

 

Un succès mal digéré

En 1960, lors des élections communales, la NGS obtint 5 élu·e·s au législatif de Fleurier (contre 3 à La Chaux-de-Fonds et 2 à Neuchâtel). Un succès très mal digéré par les partis en place. Ambiance : «Le nouveau Conseil général s’est réuni le 21 juin. Dès l’ouverture de la séance et dès les premiers discours, les propos malsonnants et les allusions commencent. Obstruction, interruptions partiales, attitudes agressives montrent que les partis de la majorité ne sont pas encore revenus de leur colère devant le succès de la Nouvelle Gauche aux dernières élections. Avant la nomination du Conseil communal et des commissions, notre camarade Gilbert Vuillème entreprend de donner lecture de la déclaration mise au point par l’assemblée de notre parti. Mais il en est empêché.»

Dans la foulée, une coalition sans principes entre la droite et le parti socialiste rejette toutes les propositions de la NGS (effectifs de l’exécutif et de la commission scolaire, candidature d’une militante NGS à l’exécutif). Dans 4 commissions sur 8, la NGS est écartée brutalement : « Nos adversaires se sont partagé la tâche. En effet, c’est tantôt un bourgeois, tantôt un socialiste qui prend la place d’un représentant de la Nouvelle Gauche.»

Dans son rapport au 3e congrès de la NGS (21.10.1962), le secrétaire cantonal René Meylan résuma ainsi la situation : «Les séances du législatif tenaient pour finir de la représentation de cirque.» Un cirque très éprouvant pour le moral des élu·e·s NGS qui, à bout de forces dans une atmosphère aussi pourrie, démissionnèrent en décembre 1961.

A mon grand regret, je n’ai jamais rencontré Gilbert Vuillème, dont le calvaire vécu par lui et ses camarades me fut révélé par le Bulletin de la Nouvelle Gauche, déposé à la Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds (Fonds Jules Humbert-Droz et Nouvelle Gauche socialiste). Des témoignages attestent son retrait total de la vie politique. Après 1956 (découverte des crimes staliniens) et 1961 (harcèlement des partis en place), la liquidation de la NGS – pour appeler les choses par leur nom – en 1963 aura certainement démoralisé ce militant dévoué et honnête. Par contre, on n’usera pas de tels qualificatifs pour le défunt secrétaire cantonal de la NGS, René Meylan, devenu conseiller d’Etat (et aux Etats) social-médiocrate, qu’en 1976 les travailleurs de Bulova et de Dubied en lutte trouvèrent en travers de leur route ! 

 

Hans-Peter Renk

 

* Citations extraites de Raymond Spira, «C’était la Nouvelle Gauche…» 

 

 

 

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Intolérance persistante

 

La cabale contre la NGS-Fleurier ne fut pas un cas unique en ce lieu. Quelques années plus tard, l’étudiant Daniel Leuba (aujourd’hui décédé) fut condamné par un tribunal militaire pour activités anti-militaristes. Militant d’un groupe «maoïste», l’Organisation des communistes de Suisse (OCS), il avait distribué un tract «subversif» lors de son service militaire, dénonçant la nature de classe de l’armée suisse.

Or, à l’époque, l’octroi des bourses d’études incombait en partie aux communes (le canton se chargeant du reste). L’exécutif fleurisan n’hésita donc pas à annuler sa contribution à la bourse de Daniel Leuba. Bien qu’ensuite fortement handicapé à l’époque dans la recherche d’un emploi, celui-ci put finalement être engagé par la Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds. hpr

 

 

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À lire

 

Raymond Spira, «C’était la Nouvelle Gauche: contribution à l’histoire politique du canton de Neuchâtel», Nouvelle revue neuchâteloise, nº97 (printemps 2008).

André Corswant (secrétaire du POP neuchâtelois), «Une ligne politique», Voix Ouvrière, 29.12.1956 et 5.1.1957.

Roger-Louis Junod, «Questions à propos de la Nouvelle Gauche socialiste», Revue neuchâteloise, nº6 (mars 1959), pp. 10–12. 

«La gauche neuchâteloise» (PS, POP, OCS), Revue neuchâteloise, nº53 (hiver 1971). 

Hans-Peter Renk, «Vie et mort de la ‹Nouvelle gauche socialiste› dans le canton de Neuchâtel», «solidaritéS», nº125 (10.4.2008), p. 20. 

Pierre Jeanneret, «La Nouvelle Gauche socialiste, 1958–1963: une page d›histoire neuchâteloise» (www.domainepublic.ch).