«T'inquiète, j'prends la pilule!»

Feminista, collectif féministe de Lausanne et environs, organisait ce 25 septembre une conférence sur la contraception. Outres les alternatives et informations médicales, ce sont aussi les enjeux sociaux qui doivent être discutés : si la contraception est considérée par beaucoup comme une grande victoire féministe, le débat à son sujet n’est pas clos. Entretien avec Vanessa Monney de Feminista. 

 

Pourquoi Feminista a-t-elle choisi la thématique de la contraception?

 

La question des différentes formes de contraception était un sujet qui revenait souvent sur la table dans nos discussions à Feminista. C’est surtout lors de moments plus informels que ce thème revenait sans arrêt avec à la clé beaucoup de questions sans réponses. Quels moyens de contraception ? Quels effets peuvent-ils avoir sur le corps, le bien-être, la santé ? Est-ce que la prise d’hormones est problématique ? Certaines d’entre nous ne supportaient plus du tout les contraceptifs hormonaux et souhaitaient en finir avec la pilule mais pour quelle alternative ?

C’est une discussion qui revient aussi en dehors du cadre « strictement féministe ». Lors d’une précédente conférence sur les femmes et leurs sexualités, le sujet de la contraception avait déjà provoqué des discussions intéressantes, notamment sur la responsabilité : est-ce normal que ce soient uniquement aux « femmes », dans des relations hétéro­sexuelles, de nous charger d’y penser à et de payer pour la contraception ?

 

Quels sont les enjeux féministes actuels autour de la contraception?

 

Les enjeux que nous souhaitons aborder sont à deux niveaux. D’une part, l’accès à l’information qui est très difficile : Ilinca Hamel-Romoscanu, médecin FMH en gynécologie et obstétrique reviendra dans cette conférence en particulier sur des aspects médicaux qui posent aussi des questions sociales et politiques. Quelle est la palette de moyens de contraception actuels ? On aimerait parler notamment des moyens moins connus et peu utilisés en Suisse comme le DIU en cuivre (stérilet). Des stéréotypes existent encore fréquemment à ce sujet : plusieurs copines se sont vues refuser le DIU «parce qu’on ne peut pas le mettre avant d’avoir eu des enfants» : c’est faux ! Certains pays les utilisent très largement et cela fait dix ans au moins que les cours en médecine affirment le contraire. Pourquoi une telle résistance ? L’enjeu de l’information est à notre avis très important, notamment face aux intérêts néfastes de l’industrie
pharmaceutique.

 

D’autre part, Catherine Fussinger, historienne spécialiste de la médecine et des études genre, apportera une perspective historique et féministe autour des enjeux sociaux des contraceptions. Par exemple, on aimerait discuter de la question de la responsabilité quasiment exclusive des femmes à prendre des contraceptifs et à se charger concrètement de cette question. Cela reflète à notre sens une vision très genrée de la société où la responsabilité de la non-grossesse est déléguée complètement aux femmes. Comme s’il s’agissait d’une problématique qui ne concerne que les femmes !

Ensuite, nous avons envie de réfléchir aux coûts. Comme l’assurance maladie ne rembourse pas les contraceptifs, ce qui est scandaleux, les femmes prennent souvent financièrement en charge la contraception et le coût est relativement élevé : après dix ans de prise de pilule, j’en suis personnellement à plus de 3000 francs dépensés pour cela ! Devons-nous assumer seules ces coûts ? Et nous aborderons aussi la question de la contraception masculine : comme le souligne entre autres Rina Nissim, très peu de financements sont investis dans la recherche de côté-là. A nouveau, des enjeux sociaux et financiers entrent en jeu.

 

 

La pilule contraceptive est considérée comme une grande victoire des femmes, mais elle est de plus en plus critiquée?; quelles sont les raisons de cette remise en cause?

 

Il est vrai que la pilule a été vécue comme une véritable libération de la sexualité des femmes hétérosexuelles. Le fait de pouvoir avoir des relations sexuelles sans avoir peur de tomber enceinte et sans vouloir d’enfant a certainement contribué à un changement du rapport à la sexualité d’une grande partie des femmes. C’est aussi pour les femmes une manière d’accéder plus librement au plaisir, un élément jusqu’alors passé sous silence et plutôt tabou dans un univers où le plaisir du pénis est roi. Récemment, la pilule est en partie remise en cause. Plusieurs scandales ont éclaté en Suisse et ailleurs en raison d’effets graves sur la santé des femmes liés à la 3ème et 4ème génération de ce type de contraceptif : accidents vasculo-cérébraux, embolies pulmonaires, etc. Des plaintes ont été déposées dans plusieurs pays. Toujours largement prescrite en Suisse alors qu’elle a été interdite depuis en France, la Jasmine semble être dangereuse pour certaines femmes. Ensuite, la prise d’hormones pose d’autres questions comme celle de la baisse de la libido qui reste un peu taboue. De plus en plus de femmes arrêtent la pilule parce qu’elles se sentent mieux lorsqu’elles n’en prennent pas. Nous ne souhaitons pas remettre complètement en cause la pilule ni en aucun cas juger les femmes qui la prennent – nous sommes d’ailleurs plusieurs à la prendre – mais engager une discussion de fond à ce sujet !

 

 

Quel est le rôle des gynécologues? Sont-ils·elles suffisamment conscient·e·s des débats sur la contraception? Informent-ils·elles suffisamment leurs patientes sur les alternatives à la pilule?

 

Dans nos discussions, les expériences que nous avons eues avec les gynécologues étaient souvent similaires : personne n’a eu accès à une information détaillée sur la palette de contraceptifs qui existe ni sur les enjeux autour de ceux-ci.

 

Propos recueillis par Juliette Lapiaz