Lampedusa

Lampedusa : L'Europe en guerre

Le nouveau naufrage dans lequel ont péri, tout près de l’île de Lampedusa, au moins 300 personnes parmi les 500 passagers d’un bateau en provenance de Libye, n’est pas dû à la fatalité. Depuis le milieu des années 90, la guerre menée par l’Europe contre les mi-grant·e·s a tué au moins 20 000 personnes en Méditerranée.

 

 

Le groupe Migreurop, un collectif de responsables d’organisations d’aide aux mi­grant·e·s et de défense des droits humains accuse à juste titre : «La guerre ? Comment nommer autrement la mise en place délibérée de dispositifs de contrôles frontaliers destinés, au nom de la lutte contre l’immigration irrégulière, à repousser celles et ceux que chassent de chez eux la misère et les persécutions? Ces dispositifs ont pour nom Frontex, l’agence européenne des frontières, qui déploie depuis 2005 ses navires, ses hélicoptères, ses avions, ses radars, ses caméras thermiques et bientôt ses drones depuis le détroit de Gibraltar jusqu’aux îles grecques pour protéger l’Europe des indésirables. Ou encore Eurosur, un système coordonné de surveillance qui, depuis 2011, fait appel aux technologies de pointe pour militariser les frontières extérieures de l’Union européenne afin de limiter le nombre d’im­mi­grant·e·s irréguliers qui y pénètrent. Comment nommer autrement la collaboration imposée par l’Europe aux pays de transit des mi­grant·e·s – Libye, Algérie, Tunisie, Maroc – afin qu’ils jouent le rôle de garde-chiourmes et les dissuadent de prendre la route du nord, au prix de rafles, arrestations, mauvais traitements, séquestrations? »

 

Des murailles contre les migrant·e·s

La médiatisation de ce nouveau drame permet d’entendre, du moins en partie, le message inlassablement répété par les mi­li­tant·e·s. La TV a aussi répercuté les images de la population de Lampedusa, à la fois excédée et bouleversée. 31 500 mi­grant·e·s y sont arrivés depuis le début de l’année. Pourtant ce n’est pas à cette île, pointe avancée de l’Europe, d’assumer la faute de tous les gouvernements européens qui élèvent des murailles contre les mi­grant·e·s qui sont en vie. L’Italie n’a-t-elle pas naturalisé les mi­grant·e·s morts jeudi dernier à Lampedusa, alors qu’au même moment les rescapé·e·s étaient accusés d’immigration illégale ? 

La Suisse « hors de l’Europe » n’est pas en reste avec son renvoi des Tamouls au Sri Lanka, où les refoulés sont notoirement en danger de mort, ses gardes-frontières engagés dans les opérations de Frontex,  le vote du peuple qui refuse l’objection de conscience comme cause d’asile et ferme ses ambassades aux persécuté·e·s.  

Le bateau naufragé contenait une majorité d’Erythréen·ne·s et de So­ma­lien·ne·s, venant de pays en guerre et aux régimes dictatoriaux. Ils·Elles auraient dû bénéficier du droit d’asile en Europe. Depuis des siècles, les relations entre l’Afrique et l’Europe ne sont qu’une longue histoire  d’exploitation, de l’esclavage au libéralisme mafieux. Sur cette terre d’enjeux géostratégiques, les anciennes puissances coloniales puisent leur part du butin en détournant les fonds publics, en pillant les ressources naturelles, en vendant des armes aux mafias au pouvoir, en orchestrant les divisions ethniques. Les dirigeants africains, pour la plupart, ne se soucient pas de la misère économique de leurs con­citoyen·ne·s et de leurs départs. Aucun n’a exprimé officiellement de compassion envers les victimes du naufrage. Ils sont également complices de ces drames. 

 

Que faire en Suisse?

Les migrant·e·s et les réfugié·e·s arrivent aussi en Suisse, envers et contre tout. En 2012, 28 631 personnes ont déposé une demande d’asile. Les groupes nationaux les plus représentés sont les Erythré­en·ne·s, les Ni­gé­rian·ne·s, les Tu­ni­sien·ne·s, les Serbes, les Afghan·ne·s, les Syrien·ne·s, les Ma­cé­do­nien·ne·s, les Ma­ro­cain·ne·s, les Chi­nois·e·s et les So­ma­lien·ne·s (Rapport annuel de l’ODM). Ces personnes sont mal accueillies et au mieux croupissent dans l’attente d’une décision. Le droit au travail leur est refusé durant les premiers mois de leur séjour, ensuite  dans les faits, les réfugié·e·s ne trouvent jamais les emplois correspondant à leurs qualifications. Se priver de leurs forces vitales, pour les laisser sans espoir et les pousser à la délinquance, est un crime non seulement contre elles et eux, mais contre nous.  

Il y a là beaucoup de luttes à mener ici et maintenant en Suisse : pour le droit à la formation, le droit au travail dans la dignité des mi­grant·e·s. Contre l’emprisonnement arbitraire des mesures de contraintes, contre les renvois forcés. Pour l’accueil et le partage, pour la coopération et l’échange. 

La catastrophe de Lampedusa nous donne l’opportunité de dénoncer une fois de plus les méfaits du néocolonialisme et de l’emprise mondiale du capitalisme, mais comment agir plus concrètement pour manifester notre solidarité avec les personnes issues des régions abandonnées ? Il ne faut pas sous-estimer les projets modestes, suivis démocratiquement, par exemple par la Fédération genevoise de coopération, et continuer à encourager les communes genevoises à donner au moins 0,7 % de leur budget à des actions de coopération (Pétition récemment déposée au Grand-Conseil, signée par 14 000 citoyennes et citoyens pour l’application de la Loi sur le financement de la solidarité internationale, votée en 2001). A Genève, le Centre de Contact Immigrés, Stop-Exclusion, ELISA-ASILE, le Centre de la Roseraie rassemblent des jeunes bénévoles enthousiastes qui accueillent, renseignent et défendent les mi­grant·e·s et surtout créent des liens avec elles et eux. «L’international sera le genre humain!».

 

Maryelle Budry