Du pétrole et des missiles: la Maison Blanche sous influence

Du pétrole et des missiles: la Maison Blanche sous influence

La guerre d’agression en cours contre l’Irak fait fi du droit international. Elle a été décidée en dépit de l’opposition de nombreux pays et au mépris d’un mouvement anti-guerre sans précédent à l’échelle mondiale. Aux Etats-Unis même, elle est contestée par des secteurs significatifs de la classe dominante. Et pourtant, comme le notait récemment Boris Kagarlitsky dans la presse de Moscou1, l’administration Bush a décidé de «jouer à la roulette irakienne». Cette option apparaît certes comme un coup de poker de l’impérialisme US pour défendre son hégémonie mondiale par l’affirmation de sa puissance militaire. En même temps, les multinationales du pétrole et de l’armement ne sont pas étrangères à ce choix.


L’insistance particulière accordée au contrôle des sources d’approvisionnement pétrolier des Etats-Unis et à leur diversification, de même qu’à celui des réseaux de transport (pipe-lines et débouchés portuaires), balise la politique étrangère et les déploiements militaires US depuis plus de dix ans. Par exemple, les ressources de gaz et pétrole du bassin de la mer Caspienne impliquaient le contrôle politique de l’Afghanistan, comme d’ailleurs celui des Balkans, qui ponctuent les voies de passage projetés de ces hydrocarbures.

Une odeur de pétrole

Les liens de l’administration Bush avec le lobby pétrolier US sont connues. Sous ce rapport le vice-président Richard Cheney – déjà secrétaire d’Etat à la défense de Bush père – joue un rôle décisif. Une semaine après l’investiture du nouveau président, il mettait en place le très confidentiel «Groupe de développement de la politique énergétique nationale». Le Washington Post du 16 avril 2001 en parle comme d’«une sorte de société secrète». En mai, ce conclave publiait un rapport en faveur de l’énergie pétrolière intitulé: «Une énergie fiable, peu coûteuse et respectueuse de l’environnement pour l’Amérique du futur»2.


George W. Bush lui-même a fait fortune en obtenant l’exploitation exclusive des pétroles de Bahrein pour la Harken Energy Corporation, dont Khaled Mahfouz et Saleh Ben Laden étaient les principaux actionnaires3. Par ailleurs, Dick Cheney était vice-président de la firme Halliburton, principal équipementier pétrolier au monde (chiffre d’affaires de 12,5 milliards de dollars) jusqu’en 2000, tandis que Condolezza Rice (conseillère nationale de sécurité) dirigeait Chevron-Texaco et que Gale Norton (secrétaire à l’intérieur) est issu de BP-Amoco…


Selon Issam Chalabi, ancien ministre irakien des pétroles, devenu conseiller «indépendant», la production de l’Irak pourrait passer, de 2,8 millions barils par jour aujourd’hui, à 6-8 millions de barils en 2010, c’est-à-dire rattraper celle de l’Arabie Saoudite, moyennant de nouveaux forages (15 nappes sur 73 sont actuellement exploitées), et surtout le rééquipement des anciens puits. Un formidable marché pour… Halliburton4.

Lockheed Martin joue la guerre

General dynamics, Lockheed Martin, Northop Grumman et Raytheon, principales sociétés du secteur militaire, se portent bien. Le Pentagone a annoncé un volant de commandes de 69 milliards de dollars en 2003 pour de nouvelles armes – le budget militaire 2003 atteint 400 milliards de dollars – au nom de la «Révolution des affaires militaires», qui vise à affirmer une supériorité technologique écrasante des Etats-Unis dans ce domaine. Il semble que d’autres grands groupes comme IBM ou Hewlett-Packard soient aussi directement concernés par ces équipements.


En 1993, Lockheed Martin a nommé un ancien officier de renseignement au titre de vice-président chargé de la stratégie de développement et de la planification de la firme. Il s’agit de Bruce P. Jackson, membre de la direction du Parti républicain, qui participe au «Centre pour la politique de sécurité», un important lobby belliciste, de même qu’au «Projet pour un nouveau siècle américain», favorable à la guerre préventive. Son vice-directeur exécutif, Thomas Donnelly5, a été engagé l’an dernier par… Lockhead Martin. Durant la même période, Lynne Cheney, l’épouse de Dick, siégeait au Conseil d’administration de… Lockheed Martin6.

Investir dans la mort

Bruce P. Jackson soutient activement la «Nouvelle initiative atlantique», le «Projet sur les sociétés en transition», ainsi que le «Comité étatsunien pour l’élargissement de l’OTAN». Ces regroupements ont certes des objectifs politiques et idéologiques, mais ils se battent aussi pour la conquête de nouveaux marchés. Ainsi, l’avionneur Dassault vient de se voir écarter du marché polonais par les Etats-Unis, bien que la France soit le premier investisseur étranger en Pologne. Un bel exploit!


En décembre dernier, Bruce P. Jackson lançait le «Comité pour la libération de l’Irak», formé par d’anciens dirigeants, avocats et lobbyistes de Lockheed Martin. Il s’est doté d’un Conseil de pilotage où siègent l’ancien secrétaire d’Etat de Reagan, Georges Schultz, des éditorialistes ultra-conservateurs, ainsi que quelques émissaires étrangers comme le général allemand Klaus Naumann et l’ancien Premier ministre suédois Carl Bildt, qui ne cache pas son intention de devenir émissaire de l’ONU dans l’Irak «libéré». «Choquer et inspirer le respect»… pour se remplir les poches!


Jean BATOU

  1. Moscow Times, 18 mars 2003.
  2. www.whitehouse.gov/energy/national-energy-policy.pdf
  3. «A qui profite le crime? Les liens financiers occultes des Bush et des Ben Laden», Note d’information du Réseau Voltaire, n° 237.
  4. Spécialiste de politique militaire très actif dans les coulisses de l’administration républicaine, il est notamment l’auteur d’un ouvrage de référence sur l’invasion de Panama en 1989.
  5. Pour un bon dossier sur l’action des lobbies militaro-industriels US, voir le Multinational Monitor, vol. 24, num. 1-2, janv.-févr. 2003.
  6. International Herald Tribune, 24 février 2003.