La guerre silencieuse contre les femmes d'Irak

La guerre silencieuse contre les femmes d´Irak

Nous reproduisons ici le témoignage* d’une enseignante californienne qui a participé à plusieurs missions en Irak pour la Nuclear Age Peace Foundation de Santa Barbara en 2001-2002. Elle explique dans quelle mesure la guerre du Golfe et les sanctions économiques qui l’ont suivie, ont particulièrement frappé les femmes irakiennes, et dans quelle situation désespérée elles doivent affronter la guerre d’agression actuelle.


(…) En Irak, la vie des femmes (en particulier des mères) était bien meilleure avant les sanctions de l’ONU, imposées en août 1990. De 1975 à 1985, le gouvernement irakien avait investi de gros montants pour des programmes sociaux dans les domaines de l’éducation et de la santé. Une campagne pour éradiquer l’analphabétisme parmi les femmes avait obtenu des résultats importants, tandis que les femmes jouissaient traditionnellement de libertés inconnues dans les autres pays arabes ou musulmans d’aujourd’hui.


Le 1er octobre 2002, dans un article du New York Times, Nicholas Kristof rendait compte du degré de liberté dont jouissaient les femmes en Irak. Il écrivait qu’elles étaient enrôlées régulièrement dans des unités non combattantes de l’armée; qu’elles priaient, mangeaient et allaient se baigner avec les hommes; que les filles participaient aux compétitions sportives comme les garçons. Comparez cette situation surprenante avec celle de l’Arabie Saoudite, où les femmes sont isolées de la vie publique par des mesures répressives, et enfermées dans des situations parfois dangereuses. En mars 2002, un groupe de femmes saoudiennes ont été brûlées vives, parce qu’empêchées de sortir d’un immeuble en flammes sans foulard ni coiffure.

Les séquelles de la guerre du Golfe

Bien que plus ouvert d’esprit dans ses attitudes, l’Irak est devenu nettement plus dangereux pour les femmes et les enfants, depuis la guerre du Golfe, compte tenu de l’effondrement des services de santé, en particulier de la médecine préventive. (…)


A Bassora, où les combats de la guerre du Golfe ont fait rage, 25 étudiant-e-s en obstétrique et en gynécologie sur 26 étaient des femmes. Cependant, lors de ma première visite en Irak, en août 2001, un médecin de l’hôpital pédiatrique de Bassora m’a dit que 90% des femmes d’Irak du sud souffraient d’une sévère anémie, un indicateur de santé qui a de sérieuses conséquences pour les femmes et les enfants.


Les mères qui allaitent et souffrent d’anémies importantes ne peuvent donner à leur enfant une alimentation adéquate. Ainsi, même l’allaitement au sein est devenu problématique durant les douze dernières années de sanctions économiques.

Lait en poudre + eau contaminée

Un document de l’UNICEF daté d’avril 2002 explique que de nombreuses mères irakiennes ont arrêté de nourrir leurs enfants au sein, et que seulement 17% d’entre elles allaitent leurs bébés durant les 4 premiers mois. Depuis le programme «pétrole contre nourriture» de 1995, le panier alimentaire de la famille irakienne a incorporé de plus en plus souvent du lait en poudre pour les nourrissons. Cela a été problématique pour plusieurs raisons, parmi lesquelles le recours nécessaire à l’eau pour la préparation. Environ 62% des femmes rapportent avoir dû donner de l’eau à leur enfant pendant son premier mois de vie, tandis que 32% de ces enfants boivent de l’eau non bouillie – alors que l’eau est sérieusement contaminée.


Une grande partie des installations de traitement de l’eau et de production électrique ont été bombardées pendant la guerre du Golfe et sont restées largement à l’abandon depuis; elles fonctionnent avec des capacités minimales pour un pays de 24 millions d’habitant-e-s. (…)


Actuellement, ce qui tue les enfants irakien, c’est la gastro-entérite causée par l’ingestion d’eau contaminée. Un enfant sur huit n’atteint pas son premier anniversaire. Imaginez la détresse des mères irakiennes, qui se souviennent de leur vie avant la guerre du Golfe (…).

Santé et enseignement en déroute

Lors d’une rencontre avec le médecin chef de l’hôpital pédiatrique de Bassora, je lui ai demandé quelle était la situation de la médecine préventive pour les femmes en Irak. Il m’a répondu qu’il n’y en avait plus aucune. Ceci est tout à fait extraordinaire pour l’Irak qui, jusqu’en 1990, avait réussi à éradiquer la plupart des maladies infantiles et disposait du meilleur système de santé de tout le Moyen-Orient.


Bien qu’il manque cruellement de ressources et de programmes de formation, le domaine médical n’a pas encore atteint le niveau de désolation de l’enseignement, spécialement pour les jeunes filles. Plus de 35% des filles sont exclues avant la fin de l’école primaire en raison du prix élevé des fournitures scolaires et du besoin de compléter des revenus familiaux insuffisants en allant travailler ou mendier. (…)


«La guerre est la dernière chose dont la population irakienne ait besoin», déclarait l’UNICEF. Et lorsque notre groupe s’est renseigné sur les effets potentiels de la campagne militaire préparée par Bush, un responsable du Programme alimentaire mondial à Bagdad nous a signifié que «les Irakien-ne-s les plus pauvres allaient souffrir le plus.»


Leah C. WELLS


* Ce témoignage est extrait du Ventura County Reporter (Cal.), 17 octobre 2002. Les intertitres, coupures et traduction sont de notre rédaction.