Aznar-Bush: les raisons d'une complicité

Aznar-Bush: les raisons d´une complicité

Les manifs anti-guerre du 22 mars ont rassemblé plus d’un million de personnes en Espagne. La répression policière très violente y a fait des dizaines de blessés… Nous avons demandé à G. Buster, responsable d’Espacio Alternativo (gauche anticapitaliste de l’Etat espagnol), de revenir sur les raisons de l’engagement inconditionnel d’Aznar aux côtés de Bush.


L’alignement sans nuance d’Aznar sur Bush est un des éléments surprenants de la crise internationale. Ses raisons paraissent échapper à tous, à tel point que l’hebdo de la City, The Economist, y a consacré un article qui tourne autour de la prétendue volonté d’Aznar de récupérer le rôle de puissance internationale perdu par l’Espagne en 1898 avec la perte de Cuba. En fait, toutes ces explications, avant tout celles qui font dans la psychologie, ne sont pas convaincantes. Pourtant, il faut bien constater que les interventions d’Aznar au Conseil de l’Europe, ou de sa ministre des affaires étrangères, Ana de Palacio, au Conseil de sécurité, ont été plus agressives et favorables à la guerre que celles de Blair ou Powell.

L’hégémonie US comme credo

Peut-être faut-il commencer à prendre au sérieux les propos mêmes d’Aznar. Pour lui, il faut un monde qui respecte les règles du jeu, même si elles sont imposées par les USA, ou plus exactement, parce que les seules règles possibles sont celles qu’imposent les Etats-Unis comme seule superpuissance mondiale. Gaspar Llamazares, coordinateur général d’Iz-quierda Unida, a signalé au parlement la filiation entre cette conception et celle du franquisme. En effet, les USA ont sauvé la dictature franquiste de l’isolement international dans lequel les démocraties européennes l’avaient enfermée, après la défaite du fascisme, au lendemain de la Guerre, en échange du rôle de Franco comme pion supplémentaire dans la guerre froide et de la mise à disposition du territoire espagnol pour le déploiement militaire US en Europe. Franco a lié immédiatement la lutte interne et externe contre le communisme avec l’acceptation de l’hégémonie des USA.


Aznar fait de même aujourd’hui avec la lutte contre le terrorisme d’ETA et le «terrorisme international», acceptant l’hégémonie US comme meilleure garantie possible. Aznar se méfie d’une Europe-puissance bâtie sur une coopération franco-allemande renforcée; il préfère une stratégie de construction de l’Union Européenne sous hégémonie étasunienne, plutôt qu’en concurrence avec elle.

Le seul gendarme crédible en Amérique latine

Il faut chercher la raison de la position d’Aznar en Amérique latine, où l’Espagne est devenue le premier investisseur étranger, au cours de ces quinze dernières années, grâce aux privatisations. Les crises en Argentine, Bolivie, Equateur, Colombie et au Venezuela, ont mis en évidence que les véritables garanties de ces investissements – beaucoup plus que les subventions de l’UE – reposaient sur la capacité d’intervention des USA, grâce au FMI et à la Banque mondiale, et en dernière lieu des marines, non de la bureaucratie de Bruxelles. Les résultats de la bourse de Madrid dépendent pour 30% des bénéfices en Amérique latine des entreprises comme Repsol-YPF, Telefónica, Endesa, Gas Natural, Iberdrola, Agnar et des groupes financiers comme BBVA ou BSCH.


Mais il y a aussi une part idéologique et d’ambition personnelle dans la position d’Aznar. Il s’agit d’identifier le terrorisme international avec le nationalisme basque, tandis que la polarisation «espagnolisme»-nationalismes périphériques est devenue le principal élément mobilisateur d’une droite discréditée par deux législatures de réformes néolibérales, de politique des petits copains et de corruption. Sa majorité absolue a conduit irrésistiblement le PP à adopter un discours fondamentaliste de droite, qui a plus de points en commun avec celui de l’administration Bush qu’avec celui du reste de l’Union Européenne. Les ambitions d’Aznar d’accéder à la présidence du Conseil de l’Europe sont utopiques, suite à ses affrontements avec Chirac et Schröder – qui ne lui pardonneront jamais d’avoir suscité la lettre des neuf et la fracture de l’UE à la veille de son élargissement. Son seul espoir réside donc dans un appui externe de Bush, face à une UE soumise et subordonnée à l’hégémonie US.


Conduit par la logique de son discours, plus que par la gestion rationnelle des intérêts de la droite, Aznar ne contrôle plus les effets de son appui enthousiaste à Bush. Il a réussi à polariser contre lui le mécontentement provoqué cette dernière année par la résistance au Plan Hydrologique National, par les attaques contre les droits nationaux en Euskadi, par la réforme du marché du travail ou de l’enseignement, pour ne pas parler de la gestion calamiteuse du Prestige. Son ego illimité, qui le pousse à jouer au grand leader international, sans en avoir les moyens – comme l’a montré sa contribution ridicule à l’effort de guerre: un navire hôpital, 6 chasseurs bombardiers F16, 780 hommes d’appui et 120 combattants seulement, face à 45 000 soldats britanniques – a ruiné toutes les alliances construites par la diplomatie espagnole au sein de l’UE, dans des secteurs décisifs comme la Conférence intergouvernementale, la réforme de la Politique Agricole Commune ou le prochain budget communautaire 2006.


Le pari est énorme pour Aznar et son parti conservateur, le PP. Il se confronte à une mobilisation de rue sans précédent contre la guerre, qui aura de fortes répercussions sur les municipales de mai prochain et sur les élections nationales de 2004. Pourtant, le caractère radical de ce défi, son fondamentalisme et sa faible capacité de convaincre, y compris ses alliés traditionnels de la droite catalane et des Canaries, ont fait d’Aznar en un instrument peu fiable pour la classe dominante espagnole, qui commence à regarder de nouveau en direction de Zapatero, le leader du PSOE, comme son candidat possible. Une déroute du PP aux élections municipales de mai 2003 ouvrirait la voie à une campagne massive pour la démission d’Aznar – qu’Izquierda Unida a déjà initiée – et à des élections anticipées. Seule une victoire militaire US fulgurante en Irak et la démobilisation du mouvement anti-guerre permettraient à Aznar de gagner ce pari, sur les cadavres de dizaines de milliers de victimes innocentes.