Longo Maï

Longo Maï : 40 ans de l'utopie des indociles

Longo maï est un réseau de coopératives présent dans différents pays européens ainsi qu’au Costa Rica et en Ukraine. Une coopérative existe aussi à Undervelier en Suisse, dans le canton du Jura. Les membres de cette organisation, en plus de leur activité agricole et d’élevage, sont engagés sur divers terrains politiques. L’organisation représente un exemple de lutte hors du commun, qui ne cesse de susciter de l’intérêt. Une exposition retrace les 40 ans de la coopérative et nous en avons profité pour rencontrer Michael Rössler et Claude Braun, membres de Longo maï.

Pouvez-vous nous parler des origines de Longo maï?

 

Longo maï est issu de la mouvance de Mai 68, et plus particulièrement de deux organisations : Hydra et Spartakus. Hydra, actif à Bâle dans les années 70, regroupait principalement des apprentis ainsi que des étudiants, qui luttaient pour de meilleures conditions de formation. Spartakus était une scission de jeunes militants issus du Parti communiste, à Vienne. L’organisation a connu de nombreux problèmes en Autriche face à une extrême droite très virulente. A l’époque, de nombreux groupes d’opposition étaient également victimes de campagnes de diffamation dans les médias, qui les associaient à la RAF (Rote Armee Fraktion, groupe de lutte armée d’extrême gauche, actif en Allemagne dans les années 1970, ndlr.)

Dans cette ambiance hostile, ces deux organisations se sont donc retrouvées dans une impasse et ont décidé de créer ensemble une sorte de « brigade internationale » qui se déplacerait dans toute l’Europe pour soutenir les mouvements ouvriers.

Après quelques années, l’organisation s’est trouvée confrontée à la déroute du mouvement ouvrier et à un essoufflement du mouvement issu de Mai 68. Les militants ayant constaté, lors de multiples voyages à travers l’Europe, que de nombreux terrains étaient pratiquement abandonnés, l’idée de fonder une communauté permettant de s’affranchir des dépendances salariales a commencé à germer. Longo maï voit alors le jour en Provence, suite à l’achat d’une ferme à l’abandon. Le but de notre organisation était dès le début de s’organiser sans patrons et d’être au maximum indépendants pour continuer la lutte politique.

En automne 1973, le gouvernement français a procédé à une vive campagne de criminalisation de Longo maï. Les étrangers (souvent Suisses ou Autrichiens) vivant dans la coopérative ont été sommés de partir. Motif invoqué : le site était proche de missiles nucléaires et les militants de Longo maï représentaient donc un danger pour ces installations ! Une partie d’entre nous a donc dû quitter la Provence et c’est à ce moment-là que nous nous sommes installés en Suisse.

 

 

Quels sont les principes fondamentaux de Longo maï?

 

A la base, il y a l’idée d’autosubsistance : notre production (d’habits ou de nourriture) sert avant tout à subvenir à nos propres besoins, nous ne vendons que le surplus. Nous avons tout de suite pensé qu’il n’était pas avantageux de vendre les matières premières et qu’il était plus intéressant de vendre des produits transformés. Cette solution apportait en plus un contact direct avec la population. Cette idée se répand de plus en plus largement aujourd’hui, notamment avec l’agriculture contractuelle, mais à l’époque c’était véritablement avant-gardiste.

En plus des revenus de la vente de nourriture et de lainages, nous bénéficions des subventions à l’agriculture et recevons des dons de particuliers. Chaque coopérative gère son propre budget. L’organisme de collecte de dons Pro Longo maï, qui est reconnu d’utilité publique, redistribue les dons aux coopératives selon leur taille et leurs projets. Les biens créés au sein de celles-ci sont également distribués à travers le réseau. Ces échanges ne sont pas monétarisés, ce qui est très important pour nous à l’heure où la monétarisation pénètre de plus en plus profondément la société. Il est aussi très important pour nous de vivre et travailler sans hiérarchie. Ainsi, toutes les décisions sont prises démocratiquement et par consensus lors d’assemblées générales qui se tiennent chaque semaine dans les coopératives.

 

 

Quels ont été vos engagements politiques ces dernières années?

 

Nous avons été très actifs sur la question des semences, en combattant leur privatisation au profit des grandes multinationales. Nous nous sommes également mobilisés contre l’esclavage dans l’agriculture industrielle, par exemple dans le cas des travailleurs immigrés qui travaillent dans des conditions terribles dans les serres de la mer de plastique d’Almeria (Espagne). Nous avons beaucoup collaboré avec le SOC-SAT (Syndicat andalou des Travailleurs, ndlr). La défense des réfugiés et des immigrés a toujours été une thématique importante pour notre mouvement depuis ses débuts. 

Nos interventions politiques se font généralement dans un cadre international grâce à un réseau que nous avons tissé au fil des années. Ce sont des personnes de ce réseau qui sollicitent souvent notre appui pour un sujet particulier.

 

 

Quel rapport entretenez-vous avec le voisinage des coopératives et en particulier avec les paysans?

 

Il est important pour nous de prendre part à la vie publique dans les villages où nous sommes installés. Bien sûr, il y a parfois des tensions avec les agriculteurs «traditionnels», mais il s’est souvent révélé très intéressant de discuter avec eux. Même si nous ne sommes pas en accord sur tout, ce sont des gens qui ont une conscience souvent très aiguë de certains problèmes écologiques, notamment concernant le sol. Une grande partie des paysans cependant ne partage pas nos idées politiques, mais cela est aussi lié à des erreurs de la gauche qui les a longtemps délaissés. 

 

Propos recueillis par

Giulia Willig et Jean Burgermeister