Mais pourquoi diable se présenter au poste de procureur général?

Vous l’avez lu et entendu, Pierre Bayenet est candidat d’Ensemble à Gauche pour le poste de Procureur général du Canton de Genève en vue des élections populaires du 13 avril prochain. Pourquoi cet engagement ? Tour d’horizon en cinq questions.

Pierre, pourquoi avoir décidé de te présenter au poste de Procureur général?

 

Pierre Bayenet: Parce que la justice genevoise part à la dérive, et que j’aimerais lui imprimer une nouvelle direction. La pointe de l’iceberg, c’est l’ouverture de la chasse aux sans-papiers, qui contraste avec la politique de régularisation qui a été prônée par le gouvernement genevois depuis une dizaine d’année. Environ 15 % de la population de la prison de Champ-­Dollon – soit environ 120 personnes sur 850 – s’y trouve pour seule infraction à la loi fédérale sur les étrangers. Il est honteux d’incarcérer ainsi des personnes, souvent travailleuses et travailleurs honnêtes, qui sont venues chez nous pour faire vivre leur famille restée au pays. En se livrant à cette incarcération systématique, la machine judiciaire est sortie de son rôle d’infliger une sanction juste aux individus qui commettent des crimes ou des délits.

 

 

Tu dis que c’est la pointe de l’iceberg – que cache la partie immergée?

 

La tendance générale est à la criminalisation de divers comportements, avec une banalisation de la prison. On voit la police et la justice se mettre en branle pour envoyer en prison des petits dealers attrapés avec quelques boulettes de cocaïne. Pour cette machine judiciaire, l’emprisonnement du plus grand nombre de délinquants est devenu un objectif en soi et même parfois un motif de fierté. Cette vision est malsaine et trompeuse car la délinquance est un phénomène permanent. Le rôle de la justice n’est pas de l’éradiquer, mais de gérer au mieux la problématique de la transgression au moyen des outils dont elle dispose : la sanction, la réinsertion, la réparation. Or, la prison est le moins bon de ces moyens.

 

 

Tes détracteurs te disent angélique et irréaliste. Qu’en penses-tu?

 

L’irréaliste, c’est Jornot, qui pense pouvoir supprimer la délinquance en enfermant les délinquants. On sait aujourd’hui, grâce aux études criminologiques, que la prison ne permet pas de lutter contre la récidive, et qu’elle devrait être utilisée uniquement lorsqu’il est nécessaire de neutraliser un individu particulièrement dangereux. Non seulement la prison fait surtout peur aux personnes qui sont les moins susceptibles d’y entrer (la perspective de la prison effraye une mère de famille salariée, alors qu’elle ne fait guère frémir un jeune homme de 22 ans sans activité), mais en plus elle amène comparativement plus de délinquants à commettre de nouveaux délits que ceux qui subissent une peine alternative. La faute à la désinsertion sociale causée par l’emprisonnement, et au caractère humiliant de l’exécution de la peine.

 

Quelles sont tes propositions pour lutter contre la criminalité?

 

Il faut d’abord rappeler que ce sont les classes défavorisées qui ont le plus besoin de la justice et de la police pour être protégée contre les crimes et délits. Les plus riches peuvent se protéger à leurs frais, alors que les autres devraient pouvoir compter sur l’Etat.

Pour lutter contre la criminalité à long terme, il faut d’une part éviter un premier passage à l’acte, d’autre part utiliser au maximum les outils dont nous disposons pour combattre la récidive. Pour le premier passage à l’acte, le meilleur moyen de dissuasion est la certitude pour l’auteur de l’acte qu’il va finir par être interpelé. Ce facteur est bien plus important que la gravité de la peine encourue – c’est d’ailleurs pour cela que la peine de mort n’a pas d’effet dissuasif. Il faut donc que la justice et la police soient efficaces dans la recherche des auteurs d’infractions. Quant à la lutte contre la récidive, elle repose sur quatre piliers: la punition (qui devrait si possible ne pas être une peine de prison, car ceci saperait les bases du deuxième pilier), l’insertion (celle des délinquants devrait être le travail des services de probations, qui ne disposent pas de ressources suffisantes et se transforment petit à petit en service social pour les détenus), la réparation (c’est fondamental même pour les petits délits, alors que les procureurs se simplifient souvent la vie en ne statuant pas sur la réparation), la prise de conscience (c’est un processus individuel mais qui peut être favorisé par le choix de la punition, par la réparation, ou par le processus de médiation pénale qui est aujourd’hui totalement sous-utilisé).

 

 

Tu voudrais être un «Procureur général de gauche»? Qu’est-ce que cela veut dire pour toi?

 

Un Procureur général de gauche est intègre et impartial, il applique la loi de manière égale pour toutes et tous, que ce soit pour protéger ou pour punir. Enfin, il applique la loi sans oublier de s’appuyer sur les principes fondateurs de l’état de droit, en particulier les droits fondamentaux, dont la sauvegarde est l’essence de la justice.

Je serai bien sûr un Procureur général de gauche, ce qui dans les faits se traduira par une justice proportionnée, un refus de la banalisation de la prison, qui devra être réservée aux délinquant·e·s dangereux, la lutte contre des infractions qui sont aujourd’hui oubliées, telles que les faillites frauduleuses d’entreprises.

Je veillerai aussi à ce que le droit pénal n’apparaisse pas comme une solution pour régler des problèmes qui devraient être réglés par d’autres instances – je pense en particulier à la question des stupéfiants, qui est avant tout un problème de santé publique. Si la lutte contre le trafic est nécessaire, il faut que les cantons continuent à avancer dans l’élaboration de solutions durables de réglementation de la distribution de stupéfiants. Le droit pénal n’a ni la vocation ni la capacité d’être la solution de tous nos problèmes de société !