Soudain, la question du genre en France

Depuis quelques mois, un discours circule en France, suggérant qu’un complot ferait pénétrer une supposée théorie du genre dans différentes sphères de la société. Dans le cadre du colloque « Penser l’émancipation » à Nanterre, nous avons rencontré Capucine Larzillière* pour mieux comprendre ce phénomène et ce dont il est le nom.

Peux-tu nous expliquer quel est le mouvement qui diffuse cette peur du genre et quelle conception du genre il met en avant?

 

Capucine Larzillière: Le mouvement anti-genre est surtout monté en puissance à la fin de la mobilisation contre le mariage pour tous l’année dernière. A la suite du vote de la loi, « la Manif pour tous », qui est le réseau qui a mobilisé contre l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe, s’est réorientée contre ladite « théorie du genre », une expression de leur invention, que ne reprennent pas du tout les féministes et les universitaires qui travaillent sur le genre. Eux parlent de concept de genre ou d’études de genre comme un champ d’études parcouru de théories diverses. 

Ce mouvement s’est manifesté par une mobilisation contre l’introduction dans la Loi de refondation de l’école de l’idée d’une éducation aux inégalités de genre. Et puis une mobilisation contre un programme pour l’égalité entre fille et garçon à l’école primaire qui s’appelle les « ABCD de l’égalité ». Les détracteurs de la théorie du genre prétendent qu’on y enseignerait aux enfants l’indifférenciation des sexes et qu’il n’y a pas de différence biologique entre filles et garçons. Alors que c’est en fait un programme qui vise à mettre en avant les stéréotypes hommes/femmes pour les mettre à mal et invite les enseignants à réfléchir à leurs pratiques vis-à-vis des garçons et des filles.

 

 

Qui trouve-t-on derrière ce discours? Quelles organisations?

 

En terme de mobilisation, il y a déjà eu l’année dernière des manifestations devant le ministère de la Famille. Il y a eu toute une série de réunions publiques et puis, surtout, une mobilisation par emails et par SMS, avec des chaînes d’emails diffusant des rumeurs mensongères, dont une a abouti à la fin du mois de janvier à un appel au boycott de l’école contre l’introduction de la « théorie du genre » à l’école. Il ne faut cependant pas surestimer le résultat de cette propagande : lors de ces journées de retrait de l’école, seule une centaine a été touchée sur les 48 000 écoles de France.

Dans ces réseaux, il y a avant tout la droite catholique. Il y a aussi une mouvance qui est proche de l’extrême droite qui s’appelle le Printemps français, où on va retrouver des catholiques intégristes, mais aussi des courants d’extrême droite plus laïcs. Et on trouve également des groupes et des personnes proches d’Egalité et réconciliation, qui gravitent autour d’Alain Soral, dont Farida Belghoul. Tous ces réseaux ne sont pas coordonnés entre eux et par exemple la « Manif pour tous » n’appelait pas aux journées de retrait de l’école.

Cela traduit par ailleurs une convergence que l’on a déjà notée entre d’un côté l’extrême droite et de l’autre les courants proches de Soral. Cela correspond à une évolution, parce qu’il y a encore à peine quelques mois, Marine Le Pen avait, par exemple, pu dire qu’elle plaignait les homosexuels des banlieues qui étaient menacés par les islamistes. Et aujourd’hui au contraire, elle reprend à son compte l’idée de la théorie du genre. 

 

 

Est-ce que ce discours à des effets concrets? Comment le gouvernement y répond-il?

 

Il a des effets dans le sens où il crée un sentiment d’inquiétude chez beaucoup de parents : notamment chez ceux qui sont méfiants envers l’école parce que l’école n’est pas forcément accueillante aux parents, aux personnes issues de l’immigration. La réponse actuelle du gouvernement, c’est une attitude très défensive. Le ministre de l’Education, Vincent Peillon, a déclaré qu’il était contre la théorie du genre. Il reprend donc les termes mêmes des opposants et donne corps au fantasme inventé par les militants antigenre. En disant cela, il donne également corps à l’idée d’une menace liée au genre. Même si d’autres membres du gouvernement, en particulier Najat Vallaud-Belkacem, la ministre aux Droits des femmes sont intervenus de manière plus nuancée, la réponse du gouvernement a été de supprimer le terme de genre de tous les documents ministériels et de retirer la Loi sur la famille qui allait être votée. Ces réponses aboutissent donc à une sorte de « féminisme acceptable » sans analyse des rapports de genre, en gommant la remise en cause des normes et de l’ordre social que porte le féminisme. De ce point de vue là, le discours du gouvernement n’est pas rassurant parce que les familles ont l’impression qu’il y a bien un danger.

Ce qu’il faudrait, c’est un discours clair qui reprenne à son compte la notion de genre, expliquant que le fait de déconstruire les normes ne signifie pas qu’il n’y aura plus de règles dans la société, mais que cela consiste à ouvrir le champ des possibles pour les individus, de construire une identité épanouissante pour chacun. Avoir un discours positif là-dessus, ce serait la meilleure réponse à donner aux inquiétudes. Surtout, il faut se rappeler qu’avec les anti­genre, on est face à un discours qui dit ne pas être contre l’égalité, mais pour la complémentarité des sexes. En réalité, ce qu’ils entendent par complémentarité des sexes, c’est l’idée que les hommes sont dominants et les femmes subordonnées. Ce qui leur pose problème, ce n’est pas tant l’éducation au genre que l’évolution de la société vers plus d’égalité et vers une reconnaissance sociale des homo­sexuel·le·s. On constate qu’à chaque étape des luttes féministes ou pour les droits des homosexuels, ce discours sur la crainte de la confusion des identités hommes-femmes revient. Mais finalement, c’est la question de la place des uns et des autres dans la société et la remise en cause de l’ordre patriarcal qui leur pose problème.

 

Propos recueillis par Pierre Raboud

* Capucine Larzillière est militante féministe et engagée dans la gauche radicale. Elle participe au collectif « Mamans toutes égales » qui lutte contre les discriminations faites aux mères portant un foulard dans l’accompagnement des sorties scolaires.