Vote contre «l'immigration de masse»

Vote contre «l'immigration de masse» : Bilan et perspectives de lutte

Lors de la dernière assemblée générale de la CIR (coordination interrégionale) de solidaritéS, de multiples discussions de fond ont eu lieu autour d’un ordre du jour incluant des problématiques essentielles tant d’un point de vue politique que de celui de la construction interne du mouvement : de la présentation de notre camarade Zbigniew Marcin Kowalewski (co-rédacteur responsable du « Monde Diplomatique » édition polonaise) sur la situation en Ukraine, au projet de réforme de la fiscalité des entreprises, du bilan et des perspectives de lutte contre la spéculation sur les matières premières à la campagne sur le salaire minimum. Dans ce cadre, les par-tici-pant·e·s ont eu l’occasion de débattre avec Alessandro Pelizzari (UNIA, CGAS), invité sur ce point, de la situation après l’acceptation par le corps électoral, le 9 février dernier, de l’initiative contre l’immigration de masse de l’UDC. Le texte qui suit est inspiré de ces échanges.

Alors que les résultats du vote du 9 février concernant l’initiative « Contre l’immigration de masse » de l’UDC laissent de profondes traces dans les différentes organisations syndicales et politiques s’y étant opposées, une analyse plus approfondie de la situation s’impose. Le résultat du 9 février 2014 souligne une nouvelle tendance, ouverte depuis 2008 et le vote sur les minarets, qui voit les initiatives xénophobes et anti-étrangers passer systématiquement la rampe en votation populaire. Cette nouvelle donne est un enjeu important pour la gauche radicale qui se doit de comprendre la dynamique actuelle si elle entend pouvoir inverser la tendance.

 

Les préoccupations des classes populaires et le basculement du vote des classes moyennes 

Une analyse détaillée des résultats met en exergue une corrélation forte entre le niveau des revenus des personnes et l’orientation du vote. Les citoyen·ne·s à bas revenus ont massivement soutenu le texte de l’UDC, alors que les plus fortunés l’ont majoritairement refusé. Ainsi, les classes populaires ont exprimé leur désaccord à la libre circulation telle qu’elle est actuellement pratiquée. Cependant, l’acceptation de l’initiative ne saurait s’expliquer par ce seul élément. En effet, un nouveau phénomène est apparu, à savoir la réorientation du vote des classes moyennes. Si jusqu’ici, elles avaient soutenu le principe de la libre circulation et majoritairement refusé les initiatives xénophobes, les classes moyennes ont aujourd’hui modifié leur position. Les explications possibles sont multiples, mais on constate que c’est parmi les corps de métiers les plus soumis à la concurrence (par ex. infirmier) qu’on retrouve le plus de vo­tant·e·s ayant accepté l’initiative.

Ce constat inquiétant démontre entre autres l’échec de la gauche à proposer une alternative politique crédible et à développer un discours clair et résolument anticapitaliste. En effet, l’attitude acritique des syndicats et de la gauche institutionnelle sur les questions de libre circulation, de l’Europe néolibérale et sur l’adhésion à un projet capitaliste a laissé le champ de la contestation et de la critique à l’extrême droite. L’UDC s’est ainsi présentée comme la seule force politique capable d’émettre un jugement sur ces questions ô combien problématiques et à imposer ses solutions xénophobe et raciste. Le résultat du vote nous démontre les limites et les manques du discours des organisations syndicales et politiques en Suisse.

 

Entre offensive bourgeoise ?et affaiblissement ?de la gauche

Ce vote renforce la bourgeoisie et le patronat. Ils se saisissent du choc de la votation pour mener un certain nombre d’offensives contre les tra­vail­leurs·euses et l’Etat social : réforme de la fiscalité et abandon des mesures d’accompagnement, notamment. Les risques de voir s’accroître la concurrence entre les sa­larié·e·s, diminuer les protections du travail et connaître un nouvel affaiblissement de l’état social sont de plus en plus importants si aucune résistance ne se profile.

Les syndicats et la gauche sortent donc affaiblis de ce vote. Face à ce constat et à ces attaques soutenues qui risquent de s’intensifier, la gauche doit être capable de formuler une alternative politique, sociale et économique. Pour ce faire, il parait nécessaire d’agir à deux niveaux.

Tout d’abord, il s’agit de développer un discours résolument anticapitaliste et critique, permettant de re-conjuguer le discours syndical sur l’emploi et les salaires avec une réflexion globale sur le coût de la vie (loyers, fiscalité, assurance, consommation,…). Ce discours doit également s’affranchir des logiques discursives qui conditionnent le combat syndical à la nationalité suisse, suivant en cela les idées et le modèle UDC, en désignant le véritable ennemi, celui de classe et en incluant résolument une perspective internationaliste.

Mais le plus urgent est de reprendre l’initiative et de ne plus laisser l’UDC occuper l’espace poilitque. Nous devons élaborer un plan d’actions concrètes et définir des priorités politiques dans les combats à venir. Ce programme beaucoup plus offensif et recentré sur l’intérêt des salarié·e·s d’ici et d’ailleurs, femmes et hommes, doit être élaboré en remobilisant les collectifs actifs dans ces secteurs.

Constituer un large front syndical et politique autour d’un programme anticapitaliste et internationaliste, telle est la perspective de lutte de ces prochaines années ! C’est à ce prix que nous pourrons stopper cette vague de fond xénophobe et nationaliste.

 

Pablo Cruchon