Helvétiquement vôtre
Helvétiquement vôtre : Internements forcés en Suisse
Le 31 mars 2014, une initiative populaire a été lancée par une vingtaine de personnes, victimes de « mesures de coercition à des fins d’assistance ». Ce texte demande la création d’un fonds de 500 millions de francs en faveur des victimes d’internements forcés et un travail de mémoire. Retour sur une face sombre, largement méconnue, de l’histoire sociale suisse.
Durant un siècle, jusqu’en 1981, des dizaines de milliers d’enfants et d’adolescent·e·s ont été internés dans des institutions – la prison d’Hindelbank (BE) pour les jeunes filles – ou placés de force dans des familles, le plus souvent de paysans. « Corvéables à merci, certains ont été battus, mal nourris, voire abusés sexuellement. Leur ‹ tort › : être orphelins, enfants illégitimes ou fils et filles de parents pauvres ou ‹ dévoyés › » (24 heures, 12.4.2013).
Pour la seule période 1942-1981, 30 000 personnes auraient été victimes de ces méthodes inhumaines. Mais l’historien vaudois Pierre Avvanzino estime ce chiffre « largement en deçà de la réalité. Des milliers de dossiers ont été détruits, notamment au sein d’institutions privées peu désireuses de mettre en lumière les pans les plus sombres de leurs activités » (L’Illustré, mars 2013).
En 1973, Hans Caprez (journaliste au Schweizerische Beobachter) avait enquêté sur « L’œuvre des enfants de la grande route » : un programme de sédentarisation forcée pour les enfants de nomades Yeniches, mis sur pied par Pro Juventute, avec un soutien officiel, de 1926 à 1973. En 1986, Alfons Egli a présenté les excuses du Conseil fédéral aux Yeniches et, en 1993, 2 200 victimes ont été indemnisées.
Pour l’ensemble des internements forcés, il a fallu attendre le 11 avril 2013 pour que la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga présente les excuses officielles. Mais à ce jour, le parlement suisse refuse toute indemnisation. Le fonds d’urgence lancé par la Confédération est confronté à plusieurs difficultés : ainsi, l’Union suisse des paysans (USP) refuse d’y contribuer (pourtant, plusieurs générations de ses membres ont bénéficié d’une main-d’œuvre à très bon marché); le canton de Genève renâcle, alléguant ses difficultés financières et estimant que sont concernés « surtout des cantons ruraux » (24 heures, 1.4.2014). Or, ce canton citadin a aussi procédé à des internements forcés… (Le Matin, 18.4.2014).
La nécessaire recherche historique peut s’appuyer sur des sources existantes de longue date. Un exemple : Peter Hirsch-Surava, rédacteur du journal antifasciste Die Nation (1940-1946), avait dénoncé la politique des réfugiés en Suisse, les atrocités des camps nazis et « la misère sociale cachée qui règne alors : orphelins abusés, ouvrières sous-payées, le portrait d’une Suisse ignorée ».
Hans-Peter Renk
A lire
Arthur Honegger, « La redresse », Lausanne, Ed. d’En bas, 1976; La débattue. Lausanne, Ed. d’En bas, 1976
Martine Ruchat, « Récalcitrants, rebelles et vicieux : les figures de l’intolérable à Genève dans la seconde moitié du XIXe siècle », Pour une histoire des gens sans histoire, Lausanne, Ed. d’En bas, 1995, p. 139–150
Peter Hirsch, « Il disait s’appeler Peter Surava », Genève, Metropolis, 1998
Dominique Strebel, « Weggesperrt », Zurich, Ed. Beobachter, 2010.