La répression de la mendicité à nouveau à l'agenda politique

Face à la mendicité, la majorité des partis politiques défendent des options purement répressives. La « solution » apportée par l’initiative de l’UDC avec l’interdiction totale de la mendicité rendrait ainsi la misère illégale et conduirait à la mise à l’amende systématique des plus pauvres. Le contre-projet, inspiré de la solution lausannoise, proposé par le Grand Conseil est d’adopter la motion du PLR lausannois Mathieu Blanc prohibant la mendicité « organisée ».

En réponse à cette criminalisation de la mendicité médiatisée par la presse et les autorités, l’ouvrage Lutter contre les pauvres, rédigé par Jean-Pierre Tabin  et René Knüsel, avec la collaboration de Claire Ansermet, dénonce l’incohérence des propos tenus par les politiques pour justifier l’interdiction de la mendicité. Ce livre a été publié en début d’année, au terme d’une enquête à Lausanne fondée sur des observations et des entretiens avec des personnes en contact avec la mendicité et avec celles et ceux qui la pratiquent. L’ouvrage déconstruit ainsi le discours stigmatisant et discriminatoire sur la mendicité.

 

«La mendicité dérange, choque, gêne.?» 

Les premières pages de cet ouvrage analysent les raisons historiques qui ont conduit à la méfiance face à la mendicité. Une conception théologique et morale construite sur le long terme, depuis le Moyen Age, sépare les plus pauvres en deux catégories : d’une part ceux qui sont perçus comme légitimes à recevoir une aide de la collectivité, d’autre part ceux qui sont perçus comme illégitimes. Pendant l’époque médiévale déjà, des rapports étaient ainsi publiés sur les «tricheries des mendiants», dénonçant par exemple «26 types de faux mendiants afin de donner aux passant·e·s les moyens de les démasquer». La position des autorités vaudoises au XXIe siècle s’inscrit donc dans une politique de stigmatisation des mendiants construite de longue date !

Plus près de nous, l’intensification des débats autour de la mendicité a été particulièrement stimulée par les accords du 8 février 2009 entre la Suisse et l’Union européenne, conduisant à l’extension de la libre circulation des personnes à la Roumanie et à la Bulgarie. Ces débats, dominés notamment par les interventions de l’UDC, ont conduit à la constitution de la mendicité comme problème public. La quasi-unanimité autour de la nécessité de réglementer la mendicité ne repose pas pourtant sur des preuves ou des enquêtes, mais sur un discours où dominent les préjugés et l’ignorance. 

 

Une approche purement policière?

L’exemple genevois analysé dans l’ouvrage démontre l’inefficacité de ses politiques restrictives. Depuis novembre 2007, l’interdiction totale de la mendicité est en vigueur à Genève. D’après le porte-parole de la police genevoise, « depuis l’entrée en vigueur de la loi, quelque 20 000 amendes ont été prononcées, entrainant des frais de l’ordre de plusieurs millions de francs pour le contribuable genevois », sans toutefois mettre un terme à la pratique. L’envoi des factures en Roumanie, à des personnes qui sont venues en Europe de l’Ouest pour sortir de la misère, ne résout pas en effet le problème central, qui est celui de la pauvreté et de l’exclusion sociale. 

Pour justifier leur politique, les autorités invoquent la lutte contre les réseaux criminels, contre l’instrumentalisation d’enfants et de personnes handicapées. Toutefois, ces arguments sans cesse répétés ne reposent pas en général sur des faits documentés. L’enquête de terrain menée par les auteurs de l’ouvrage entre 2011 et 2013 à Lausanne, à travers des observations, entretiens avec des personnes qui sont en contact étroit avec la mendicité (personnel du travail social, de la santé, de la police, etc.) et des entretiens dans la rue avec des personnes qui mendiaient, permet de battre en brèche ces stéréotypes. En effet, aucun cas de « mendicité organisée » ni aucune trace de réseaux organisés n’ont été relevés en lien avec la mendicité. D’après les personnes interrogées, notamment la police communale, « on n’observe pas de hausse de la criminalité à cause de la mendicité » ni de délit lié à l’exploitation d’enfants dans le cadre de celle-ci. De telle sorte qu’aucun durcissement de la politique sécuritaire n’apporterait de réponse à un problème avant tout économique. 

 

Rom + mendiant = criminalité

Les « Roms » sont souvent cités comme étant la population qui s’adonne à la mendicité. Cette vision a pour conséquence d’«ethniciser la pauvreté», ce qui empêche «d’interroger les causes structurelles de la précarité et les formes d’exclusion dans les démocraties néolibérales».

Enfin, le discours dominant oublie systématiquement que les migrations en provenance des pays de l’Est ont été motivées par des bouleversements économiques et politiques profonds dans ces pays, après l’effondrement du bloc de l’Est. Ceux-ci ont notamment entrainé la privatisation des fermes collectives et la fermeture des usines, avec pour conséquence une augmentation du chômage. Ainsi, concluent les auteurs de l’ouvrage, « la mendicité ne correspond pas à un mode de vie ancestral ou traditionnel des personnes catégorisées comme ‹ Roms ›, c’est une réponse contemporaine à une pauvreté économique ». 

 

Amela Softic

 

Jean-Pierre Tabin, René Knüsel, Claire Ansermet, « Lutter contre les pauvres, les politiques face à la mendicité dans le canton de Vaud », Lausanne, Editions d’en bas, 2014.