Asile

Asile : Genève, capitale des droits humains? ou hub d'expulsion?

Les autorités veulent faire de Genève le hub romand d’expulsion des migrant·e·s. Vous avez été choqué·e·s par le film « Vol Spécial » et les souffrances de la vingtaine de détenus du centre de détention de Frambois ? Imaginez ces problématiques multipliées par sept ou huit ! Et des cellules familiales… le tout, dans la ville dépositaire de la Convention relative au statut des réfugiés.

La campagne « Ma Genève » initiée par Stopexclusion veut rallier toutes celles-ceux qui pensent que cette Genève-là n’est pas la leur. Entretien avec Aldo Brina, chargé d’information du CSP-Genève et président de Stopexclusion.

Quel est l’objet de cette campagne, de quoi s’agit-il?

 

La future restructuration de la procédure d’asile, actuellement élaborée par le Département fédéral de Justice et Police (DFJP), sous la direction de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, prévoit que des cantons puissent désormais se « spécialiser » dans certaines étapes de la procédure : soit l’enregistrement des de­man­deurs·euses d’asile, soit l’hébergement et l’intégration, soit la détention administrative et le renvoi.

Sous l’impulsion du Conseiller d’Etat genevois en charge de la sécurité Pierre Maudet, qui collabore étroitement avec la Confédération pour cette restructuration, le canton de Genève a pris l’orientation de jouer un rôle de hub (soit de plaque tournante) en matière d’expulsion.

 

 

Comment se concrétiserait ce hub exactement?

 

Ce projet comporte deux volets. Le premier porte sur la mise à disposition de 168 nouvelles places de détention administrative, au lieu de la vingtaine de places qu’il y avait encore début 2013 à Frambois. Le budget pour cette nouvelle prison a été voté par le Grand Conseil genevois en automne dernier et ces cellules pourraient être prêtes dès 2017. Le projet prévoit même des « cellules familiales », dans lesquelles des enfants pourraient se retrouver enfermés avec leurs parents, avec tous les traumatismes qui s’en suivraient.

 

 

On parle d’asile… mais qu’en est-il en ce qui concerne les sans-papiers?

 

C’est clair que soit les autorités construisent des cellules pour rien, soit elles prévoient de changer leur pratique pour les remplir. Autrement dit un changement de politique vis-à-vis des personnes sans statut légal, hors asile, est en effet à craindre.

 

 

Et le deuxième volet?

 

La nouvelle procédure d’asile prévoit des « centres fédéraux de départ », à partir desquels les personnes qui n’ont pas encore disparu dans la nature et n’ont pas été mises en détention seront expulsées. Le canton de Genève se profile pour accueillir un tel centre d’une taille de 260 places. On ne sait pas exactement ce que sera un centre de ce type, mais on a des raisons de craindre qu’il soit fermé. Tout ça dépend encore du débat aux Chambres fédérales à Berne, qui devrait démarrer au printemps 2015.

 

 

En échange de quoi le canton accomplirait-il cette besogne?

 

Les cantons qui accomplissent des tâches fédérales de ce type recevront des « compensations » de la part de la Confédération. En clair, Genève recevrait moins de de­man­deurs·euses d’asile à héberger en proportion de ceux-celles que le canton parviendrait à expulser. C’est le deal : expulsez-en dix, on vous en enverra deux de moins à héberger ! Le « marché » est choquant et l’incitation est terriblement malsaine.

 

 

Finalement, quel est le message de la campagne lancée par Stopexclusion?

 

L’idée centrale c’est de dire que cette Genève-là n’est pas la nôtre ! On exige que Genève rayonne dans le monde comme capitale de la dignité et des droits humains, pas comme capitale des expulsions et des renvois forcés. Il faut aussi à tout prix que les autorités laissent tomber ce sordide projet de cellules familiales.

 

 

Et le but visé?

 

« Ma Genève » est une pétition qu’on trouve en ligne sur mageneve.ch qui a, avant tout et en premier, pour but d’informer. En soi, la campagne ne fait que débuter. Nous avons maintenant besoin de renforts pour proposer des actions plus concrètes et mobiliser les gens. Il y a la pétition à faire signer, des cartes à distribuer, des affiches à placarder, des T-shirts à porter, mais ça ne suffira pas… Il va falloir retrousser nos manches et initier d’autres actiions.

 

 

Il s’agit là d’un nouveau front contre la xénophobie?

 

Oui, mais pas seulement. On devrait tous et toutes se sentir concernés par ces projets parce que, dans le fond, le problème, c’est que les étran­gers·ères sont considérés comme un « stock » de matière inerte à gérer, et cette vision managériale, déshumanisée, c’est celle qui nous menace désormais toutes et tous. Sommaruga ou Maudet ne sont pas de « méchants racistes », simplement ils agissent en manutentionnaires au lieu de rappeler régulièrement l’aspect profondément humain d’une politique d’asile. Sans ce rappel la légitimité de la politique d’asile s’effrite, les votes deviennent toujours plus xénophobes, et certains po­li­ti­cien·ne·s pensent alors qu’ils doivent en rajouter une couche. C’est le cercle vicieux dans lequel ils sont pris.

 

Aldo Brina

Chargé d’information du Centre Social Protestant (CSP) Genève et président de Stopexclusion

Signez la pétition : mageneve.ch