A propos d'une commémoration

A propos d'une commémoration : Leur 12 septembre et le nôtre

Pour commémorer le 200e anniversaire de Neuchâtel au rang de canton suisse, le Conseil d’Etat organise une cérémonie le 12 septembre 2014. Pour diverses raisons, solidaritéS-NE n’y participe pas et tient à s’en expliquer publiquement.

Pour le Conseil d’Etat, cette date marque «le premier acte de l’instauration de la démocratie dans notre canton». Or, le « cantonnement » de Neuchâtel se produisit dans des circonstances ambiguës.

Principauté prussienne (1707–1806), Neuchâtel a été de 1806 à 1814 fief du maréchal Alexandre Berthier, chef d’état-major de l’armée française. Mais après les défaites de Napoléon en Allemagne et l’entrée de l’armée autrichienne en Suisse (décembre 1813), le Conseil d’Etat «n’hésita pas à envoyer une délégation à Bâle, où se trouvait le quartier général des alliés» [Prusse, Autriche, Grande-Bretagne et Russie] «pour prier le roi de Prusse de prendre de nouveau le pays sous sa protection. Frédéric-Guillaume III accéda aisément au désir de ses anciens sujets, tout en insistant auprès de ses alliés et auprès de la Diète fédérale pour que Neuchâtel fût admis comme canton suisse» (Numa Droz).

Le Congrès de Vienne (1814–1815) a ouvert une ère de restauration aristocratique, y compris en Suisse : «Le Pacte fédéral de 1815, plus ou moins imposé par les Puissances alliées, était le fruit de l’esprit de réaction. A l’abri de la souveraineté cantonale absolue, des oligarchies avaient reconquis le pouvoir, supprimé les droits populaires et confisqué les libertés individuelles proclamées par la République helvétique et maintenues en partie par l’Acte de médiation» (Numa Droz).

Or, le statut double de Neuchâtel (canton-­principauté) «eut une conséquence que n’avaient prévu ni le roi de Prusse et ses ministres, ni le Conseil d’Etat de la principauté: elle favorisa et même provoqua la création d’un parti suisse, autrement dit d’un parti républicain, auquel à peu près toute la jeunesse finit par se rattacher» (Arthur Piaget).

 

Honorer les vaincus

 

En 1831, le 12 septembre a été choisi pour rassembler les insurgés grâce aux banquets commémoratifs. Mais un contexte politico-militaire défavorable a fait échouer les deux insurrections républicaines (septembre et décembre 1831). Ainsi, en septembre 1831, 7 des 9 membres du gouvernement provisoire nommé par les insurgés avaient refusé ce mandat. «Ils eurent peur. Ils n’osèrent se compromettre. La bande de jeunes gens qui occupait le château les effrayait par son audace. Ils pesèrent et soupesèrent les chances de succès et, par leur refus, donnèrent le coup de mort à la révolution» (Arthur Piaget).

La répression frappe tout le parti républicain. Ainsi le docteur Alphonse Petitpierre meurt d’une tuberculose contractée à la Tour des Prisons (Neuchâtel). Le docteur Frédéric Roessinger (membre du comité insurrectionnel de décembre 1831) est emprisonné durant 7 ans en Rhénanie. Arrêté lors de l’occupation de La Chaux-de-Fonds (décembre 1831), l’avocat Auguste Bille (député au Corps législatif) est condamné à 2 ans de prison et à l’exil.

solidaritéS-NE ne s’associe donc pas à ce bicentenaire. 1814, c’est d’abord la restauration de l’ordre aristocratique/monarchique en Europe et le retour de Neuchâtel au roi de Prusse. Nous préférons honorer la mémoire des républicains qui ont pris les armes en septembre et en décembre 1831, et dont certains l’ont payé ultérieurement de leur vie. C’est à eux que nous devons l’instauration de la république, non aux aristocrates, qui profitèrent du contexte politique pour perpétuer leur domination jusqu’au 1er mars 1848.

 

Hans-Peter Renk

 


Discours du 10 juillet 1898 à La Chaux-de-Fonds pour le cinquantenaire de la république neuchâteloise (extraits)

 

« On a porté, sur la révolution de 1831, un jugement sévère, déniant toute clairvoyance aux vaillants pionniers de notre émancipation. On a traité d’hallucinés des braves qui risquèrent leurs biens et leurs vies dans les circonstances les plus périlleuses pour sortir leur pays d’une situation dont ils avaient mesuré toute l’ambiguïté. […]

» La vérité est que la Diète fédérale, alors encore en majorité réactionnaire, prêta main-forte au gouvernement royaliste de la principauté-canton et lui rendit la confiance en lui-même qu’il avait perdue lorsqu’il abandonna le Château.

» La vérité, c’est aussi, nous ne faisons aucune difficulté à le reconnaître, que les patriotes de 1831 étaient des précurseurs, des hommes d’avant-garde, dont les idées justes, mais hardies, effrayaient encore un grand nombre de leurs concitoyens.»

 

Arnold Robert (conseiller aux Etats)

 


 

A lire

Relation de la cérémonie d’inauguration du monument de réhabilitation élevé le 29 septembre 1850, dans le cimetière de Neuchâtel à la mémoire du docteur A.-N. Petitpierre et de H.-L. Dubois, Neuchâtel, Impr. de Fred. Loutz, 1850

Eugène Borel & Louis Guillaume, Frédéric Roessinger : esquisse biographique, Neuchâtel, Impr. Montandon, 1863 

Numa Droz, La république neuchâteloise : ses origines et son développement, La Chaux-de-Fonds, Impr. du National suisse, 1898

Cinquantenaire de la république neuchâteloise, 9, 10 et 11 juillet 1898, Neuchâtel, P. Attinger, 1901

Arthur Piaget, « Histoire neuchâteloise », Le Sapelot, 1924, nº 5, p. 10–%u200A19, nº 6, p. 7–%u200A13%u200A; « Plaidoyer pour Alphonse Bourquin », Musée neuchâtelois, 1931, p. 154–177