Mexique

Mexique : «Ils les ont emmenés vivants, nous les voulons vivants!»

L’assassinat de 6 étudiants de l’Ecole normale rurale d’Ayotzinapa (Guerrero) et l’enlèvement de 43 autres, le 26 septembre dernier, a déclenché une vague de mobilisations qui ne faiblit pas. Le 30 octobre, à l’Université de Bâle, l’ambassadeur du Mexique en Suisse a dû faire face aux banderoles dénonçant un crime d’Etat lors d’une soirée célébrant le centenaire de la naissance de l’écrivain Octavio Paz. Pour faire le point sur la situation, nous avons interrogé Edgard Sánchez, du Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT).

 

Peux-tu nous dire quelles ont été les explications données le 7 octobre par Murillo Karam, le ministre de la Justice, et comment ont-elles été reçues par les parents des étudiants disparus et par la population?

 

Lors de la présentation de son rapport, Murillo Karam a insisté sur la version qui présente le crime comme une affaire locale liée au crime organisé. De cette manière, il prétend occulter la responsabilité de l’Etat, car il faut bien souligner que c’est d’un crime d’Etat dont il s’agit. Les parents des jeunes disparus et les camarades d’Ayotzinapa ont parfaitement raison de rejeter les conclusions du rapport. Il n’existe aucune évidence scientifique qui permette d’affirmer que les corps des étudiants auraient été calcinés et que les cendres auraient été dispersées dans le fleuve Cocula.

Tout le rapport de Murillo se base sur les «confessions» de deux «assassins» qu’on demande à la population de croire sur parole. Il est clair que ces confessions ont été obtenues sous la torture pour s’adapter au scénario le plus commode pour les autorités. Les «assassins» prétendent avoir brûlé les 43 corps dans un four rudimentaire à l’air libre en moins de 24 heures. C’est totalement irréaliste.

 

 

A quel niveau se trouvent les véritables responsables?

 

Le rapport présenté poursuit un objectif politique, celui de démontrer qu’il s’agit d’un cas local lié au crime organisé qui est le fait d’un misérable maire, José Luís Abarca, et de son ambitieuse épouse. La nature exacte des ordres donnés par Abarca à la police le 26 septembre n’est pas extrêmement claire, mais cela est secondaire. Ce qui est avéré, c’est que cette dernière a agi selon une routine et un protocole préétabli, déjà utilisé antérieurement. Les 43 étudiants sont sortis du commissariat dans des véhicules officiels et ont été emmenés vers une destination inconnue. Il a suffi d’un ordre donné par Abarca pour que se déclenche le processus qui a conduit à la disparition des étudiants.

L’insistance des autorités à rechercher des cadavres dans des fosses communes est une manière de valider la version officielle de l’affaire locale et du crime organisé. En effet, les autorités ne cherchent pas des « disparus », c’est-à-dire des personnes en vie victimes de disparition forcée, car qui dit disparition forcée dit responsabilité de l´Etat.

Au Mexique, l’histoire des disparitions forcées est une affaire connue, inaugurée par le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir) dans les années septante et pratiquée depuis lors comme politique d’Etat par le PAN (droite catholique, ultra conservatrice) au niveau national et même par le PRD (centre gauche, en pleine décomposition) au niveau local. Et que se passe-t-il avec les disparus selon cette histoire bien connue ? Ils sont emmenés dans des prisons clandestines ou des camps militaires. Et si la police, en lieu et place d’avoir emmené les étudiants dans une décharge où ils allaient être assassinés, les avaient conduits à la caserne de l’armée d’Iguala en leur qualité de supposés guérilleros ? L’armée est chaque jour un peu plus mise en cause dans cette affaire. Les parents des disparus, et le mouvement de solidarité qui a surgi, ont repris le slogan historique des années septante et huitante : «Ils les ont emmenés vivants, nous les voulons vivants!»

 

 

Les mobilisations pour obtenir le retour des étudiants semblent ne pas faiblir et même prendre une dimension nationale. Celle-ci peuvent-elles déboucher sur un mouvement qui remet en cause la légitimité du régime?

 

Le crime commis à Iguala a déclenché une mobilisation de solidarité avec Ayotzinapa et un mouvement contre l’Etat sans précédent. De fait, cela a provoqué une crise politique au sein du régime et une crise de légitimité de ce dernier. Le régime n’a pas réussi à freiner ni à désarticuler le mouvement. La responsabilité de l’Etat et de tous les partis institutionnels apparaît toujours plus évidente pour un nombre croissant de personnes et le slogan si populaire en Argentine en 2001 «Qu’ils s’en aillent tous!» s’impose de plus en plus. Les trois journées d’action globales ont montré que les manœuvres gouvernementales n’ont pas eu l’effet escompté sur la population, qui identifie parfaitement les responsabilités de l’Etat dans ce crime.

Après les explications de Murillo Karam et la rencontre entre les parents des disparus et le président Peña Nieto, le camp demandant le départ de ce dernier, «fuera Peña», gagne en ampleur. Pour être à la hauteur, il faudra un saut qualitatif important vers la lutte politique contre le pouvoir qui doit dépasser les demandes partielles, certes légitimes, des différents mouvements impliqués qui sont très hétérogènes. L’ampleur inédite des luttes ouvre la voie à la constitution d’un bloc social et politique qui regroupe les mouvements populaires et syndicaux en résistance au côté du mouvement étudiant. Encore une fois, le succès d’un tel regroupement dépendra de sa capacité à se doter d’une véritable perspective politique au-delà des particularismes. 

 

Propos recueillis

par Héctor Márquez