Grève générale en Belgique

Suite à la grève du 15 décembre qui a touché tout le pays, nous nous sommmes entretenus avec Mauro Gasparini, membre de la direction de la LCR-SAP.

 

Pourrais-tu nous décrire l’ampleur de la grève nationale et les secteurs touchés?

 

La grève du 15 décembre a été réellement massive, tous les secteurs ont été touchés : transports publics, mais aussi enseignement, services portuaires, aéroports, hôpitaux, administration, justice, banques, camionneurs, commerce… et l’industrie (pétrochimie, automobile, agroalimentaire, construction…). Des piquets de grève volants ont été organisés, des barrages et des blocages de route également. Ce mouvement a été très bien suivi en Flandre comme en Wallonie et à Bruxelles. C’est la grève la plus massive en Belgique depuis celle de 1993 contre le Plan global, à l’époque une grève historique mais sans lendemain contre l’austérité. Aujourd’hui, nous sommes au point culminant d’un plan d’action de tous les syndicats (chrétien, socialiste et le petit syndicat libéral) en front commun contre les mesures du gouvernement. Avec une telle réussite, on sent vraiment que la classe ouvrière, au sens large du terme, reprend de la force et de la confiance en elle. En outre, des couches importantes de la population sympathisent avec le mouvement, malgré la propagande libérale.

 

 

Quelles sont les principales revendications des différents syndicats?

 

Deux mesures sont principalement dénoncées par les dirigeant·e·s syndicaux et dans le mouvement, ainsi que par la gauche parlementaire anti-austérité : la retraite à 67 ans et le « saut d’index », c’est-à-dire le fait qu’on va supprimer 2 % de rattrapage des salaires par rapport à la hausse des prix, donc 2 % de salaire réel. A côté de ça, le front commun syndical réclame de ne plus couper dans les services publics ainsi que d’aller taxer le capital, qui reste très préservé par la fiscalité belge. Ils mettent aussi l’accent sur le refus de coupes dans la Sécurité sociale, pour laquelle le gouvernement prévoit 2,8 milliards d’économies. 

Le problème est évidemment que les syndicats se concentrent sur les demandes de leurs affiliés actifs, et pas sur celles d’autres couches de la population, comme les sans-emploi, dont plusieurs dizaines de milliers, en majorité des femmes, seront exclus des indemnités de chômage dès janvier, ou comme les sans-papiers, qui vont subir une répression encore accrue. Rien non plus sur la politique pro-nucléaire du gouvernement par exemple. Or ces questions sont à même de rassembler de nouvelles couches de la population autour du mouvement de résistance sociale.

 

 

Quelles sont les suites à court et moyen terme?

 

Les dirigeant·e·s du gouvernement ont réaffirmé à plusieurs reprises leur volonté d’imposer le saut d’index comme la pension à 67 ans, tout en prétendant tendre la main pour discuter… des modalités d’exécution de ces mesures. Le patronat et quelques députés de la majorité, suivis par l’extrême-droite, veulent également s’attaquer au droit de grève et aux piquets de grève, ce qui fait renaître le projet d’Etat fort. 

Cela étant, on est pour l’instant à un match nul, dans le sens où si le gouvernement n’a pas reculé, il a été obligé de constater la force du mouvement syndical. Et les dirigeant·e·s syndicaux ne pourront pas lâcher pour des miettes, ou du moins pas à ce stade-ci. Les gouvernements fédéraux et régionaux battent des records d’impopularité à peine 6 mois après leur entrée en fonction. Le problème est que les dirigeant·e·s des confédérations syndicales n’osent pas aller au bout de la logique du mouvement, qui est de battre le gouvernement de le faire tomber, avant que celui-ci n’inflige une défaite importante au mouvement ouvrier. Après la grève générale, on voit même ceux-ci proposer une feuille de route à réaliser en commun avec les patrons, mais sans le gouvernement, sur la compétitivité, etc., sans exiger comme préalable le retrait de toutes les mesures antisociales. La question est donc de voir si les syndicalistes de base arriveront à maintenir un niveau suffisant de pression, et à prendre en main eux-mêmes l’organisation de la lutte. 

Les directions syndicales vont vraisemblablement préparer un second plan d’action pour janvier, tandis que le gouvernement passera en force au Parlement fin décembre avec un gros paquet de mesures. Un élément essentiel est de maintenir le front commun syndical pour que le syndicat chrétien puisse continuer à mettre la démocratie chrétienne flamande (CD&V), maillon faible du gouvernement, dans l’embarras. En même temps, il est urgent que les syndicats travaillent à élaborer, par la démocratie la plus large, une alternative programmatique globale à l’austérité éternelle promise par les partis gouvernementaux.

 

 

Ce mouvement se traduit-il dans un engagement militant qui va au-delà de cette grève

 

Le mouvement est plus large qu’un mouvement syndical classique comme on les a connus ces dernières années. Cela étant, on n’en est pas encore aux explosions sociales du Sud de l’Europe, ni à un haut niveau d’auto-organisation. Mais le niveau de conscience évolue dans la population. Beaucoup de gens ont conscience que ça va être difficile de faire « négocier » ce gouvernement. Se pose donc la question de le faire tomber, mais celle-ci est surtout portée par la couche la plus mobilisée, la plus radicale du mouvement. Tout dépendra du nouveau plan d’action syndical et du niveau d’auto-organisation à la base. Avec la LCR, nous défendons partout l’idée qu’il faut faire tomber le gouvernement au plus vite, et ouvrir une large discussion programmatique dans les syndicats, sur un plan d’urgence anticapitaliste, pour que ceux-ci imposent aux partis politiques leurs propres revendications et favorisent l’émergence d’une politique anti-austérité.

A moyen terme, comme le dit notre camarade Daniel Tanuro, tout pointe en direction d’un affrontement majeur puisqu’aucun acteur ne peut se permettre de reculer jusqu’ici. 

 

Propos recueillis pas Pierre Raboud