PEGIDA

PEGIDA : Un mouvement ultra-réactionnaire, islamophobe et raciste en Allemagne

Alors que le mouvement PEGIDA voudrait s’implanter en Suisse, nous publions un article de Manuel Kellner, membre de l’ISL, section de la IVe Internationale, et de la rédaction du Sozialistische Zeitung (SoZ). Cette tribune a été initialement écrite pour Viento Sur (vientosur.info). Adaptation de notre rédaction.

Depuis octobre 2014, des ma­ni­festations contre l’« islamisation » se déroulent en Allemagne. La première à avoir fait la une des médias avait été organisée par les Hooligans gegen Salafisten (« Hooligans contre les Salafistes ») avec 5000 par­ti­ci­pant·e·s dans les rues de Cologne. Par la suite, c’est un collectif répondant au nom de PEGIDA (« Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident ») qui a pris le relais. Il a été lancé par Lutz Bachmann à Dresde. Il ne s’agissait d’abord que de quelques centaines d’individus qui venaient aux « manifestations du lundi » dans cette ville de l’Est de l’Allemagne. Puis leur nombre grandit, atteignant plusieurs milliers de par­ti­ci­pant·e·s, et jusqu’à 15 000 à la mi-décembre. Il y avait alors à peu près 6500 contre-­manifestant·e·s. L’initiative a été reprise dans d’autres villes et régions.

La plupart des politiciens se sont vite distancés de PEGIDA. Mais beaucoup d’autres ont déclaré qu’il fallait «prendre au sérieux les soucis des gens». Quels soucis ? Le chômage, la précarité, l’inégalité sociale, la destruction de la nature ? Non, le souci d’être inondé par un océan d’é­tran­gers·ères dont des «prêcheurs de haine» musulmans et des terroristes islamistes.

Lutz Bachmann [qui a depuis quitté la direction du mouvement suite au scandale provoqué par une photo de lui grimé en Hitler, ndlr] a publié une plate-forme en 19 points dont certains ont la fonction évidente d’alibi en affirmant vouloir mieux accueillir les ré­fu­gié·e·s et ne pas se dresser contre les mu­sul­man·e·s « bien intégrés ». Mais ces points sont absents des manifestations, contrairement à ceux qui exigent un devoir des « étrangers » de s’intégrer, à la demande de plus de policiers pour les surveiller, à la tolérance zéro envers les demandeurs d’asile et les immigrants criminels, la sauvegarde de la culture occidentale judéo-chrétienne, etc. Dans les discours publics et les commentaires des manifestant·e·s, les réfugié·e·s, les musulman·e·s, les immigrés sont la cible de propos haineux.

 

 

Des nazillons à l’organisation

 

Parmi les organisateurs de PEGIDA, on retrouve notamment des personnes issues des milieux d’extrême droite, y compris des néonazis. Dans le comité d’organisation de KÖGIDA, la filiale de PEGIDA à Cologne, est présente Melanie Dittmer, qui soutient que l’Holocauste est une invention des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. Sebastian Nobile, qui était responsable d’annoncer à la police la manifestation de KÖGIDA du 5 janvier, est actif dans des structures néonazies comme la German Defense League interdite, et en contact avec la bande assassine Blood and Honour, et les identitaires.

 

 

Contre-manifestations

 

Même à Dresde, le nombre de ma­ni­fes­tant·e·s de PEGIDA semble aujourd’hui reculer et le nombre de contre-ma­ni­festant·e·s progresser. Dans les autres villes d’Allemagne, comme à Berlin et Munich, le nombre de contre-­manifestant·e·s a été beaucoup plus grand que celui des ma­ni­festant·e·s. 

C’est le 5 janvier à Cologne qui symbolise ce changement. Ce soir-là, il n’y avait que quelques centaines de ma­ni­fes­tant·e·s de KÖGIDA, alors que les contre-­manifestant·e·s étaient des milliers, 10 000 au minimum, mais probablement 25 000. Le tout a été un échec catastrophique pour KÖGIDA, au point que ses organisateurs ont décidé de renoncer dorénavant à manifester à Cologne. Mais, suite au massacre à Charlie Hebdo, KÖGIDA vient de réviser cette décision et d’annoncer vouloir manifester chaque mercredi à Cologne.

A Cologne, au sein des comités d’action contre PEGIDA, on retrouve les milieux antifascistes, les organisations de gauche et celles du monde du travail. Mais en fait, c’est l’ensemble du monde politique (sauf l’extrême-droite), associatif et institutionnel qui apparaît en front uni, en incluant les partis bourgeois et les organisations patronales.

On peut se réjouir du fait qu’il semble y avoir maintenant un bien plus grand nombre de gens prêts à se mobiliser contre les agissements racistes et islamophobes que de gens qui suivent les appels de PEGIDA. Néanmoins les manifestations de PEGIDA articulent une radicalisation de toute une couche de la population avec son discours antisystème.

Et ce sont les forces politiques défendant l’ordre établi et les intérêts du grand capital qui, par une politique inhumaine et des propos inacceptables créent eux-mêmes l’atmosphère propice au populisme de droite et aux campagnes racistes. Mis à part le discours vaguement humaniste, les politiciens des partis capitalistes opposent à PEGIDA des considérations sur l’importance de l’immigration « qualifiée » pour l’économie allemande, pour le financement des pensions, et les recettes fiscales. Mais PEGIDA parle elle aussi des « bons » immigrant·e·s bien intégrés. 

 

 

Un potentiel ultra-droitier

 

Les mobilisations de PEGIDA ne tombent pas du ciel. Avant celles-ci, en Allemagne, il y a eu un grand nombre d’actes et de mobilisations racistes dirigés contre les ré­fu­gié·e·s. De janvier à novembre 2014, le chiffre des ré­fu­gié·e·s en Allemagne est monté à 130 000. Même si les données statistiques montrent que la disposition à la radicalisation raciste ne dépend ni de la part de ré­fu­gié·e·s ni de la part d’im­mi­gré·e·s dans la population, il est vrai qu’il y a eu, en 2014, un grand nombre d’actions contre l’hébergement de ré­fu­gié·e·s dans des quartiers aisés comme dans des quartiers populaires, à l’Ouest comme à l’Est de l’Allemagne.

L’association Pro Asyl recense 220 mobilisations dirigées contre des ré­fu­gié·e·s de janvier à novembre 2014, et dans la même période 31 actes de vandalisme dirigés contre eux, 24 incendies criminels visant leurs lieux d’habitation et 33 attaques physiques contre des ré­fu­gié·e·s. Des sondages d’opinion mesurent la montée des préjugés racistes, xénophobes et islamophobes dans la population allemande. En 2011, 25,8 % des son­dé·e·s étaient contre un traitement moins restrictif des de­man­deurs·euses d’asile, en 2014 ils sont 76 %. En 2011, 30,2 % se sentaient «étranger dans leur propre pays» à cause du grand nombre de musulmans, en 2014 ils sont 43 %.

On peut estimer à 12 % le potentiel de l’extrême droite pure et dure en Allemagne. Seule une partie est prête à voter pour l’AfD ultra-conservatrice, ultra-néolibérale et populiste de droite (qui, d’après l’institut Forsa, se situe pour le moment à 5 % des intentions de vote). Une partie de ses membres a cherché à collaborer avec PEGIDA, mais ses dirigeants prennent plus souvent leurs distances vis-à-vis de PEGIDA, par peur de perdre leur semblant de sérieux dans les milieux conservateurs et libéraux bourgeois.

En fait, PEGIDA représente une tentative de briser l’isolement et la dispersion de l’extrême droite pour arriver à des mobilisations significatives et à s’éloigner de l’image d’extrémisme de droite pour apparaître comme une force enracinée au cœur de la société allemande. Il est bien possible que cette initiative, en fin de compte, n’aboutisse pas – mais ce n’est certainement pas la dernière.

 

Manuel Kellner