Maroc

Maroc : Conflit social au pays de «notre ami le Roi»

Resté quelque peu à l’écart des « printemps arabes », gouverné depuis l’indépendance formelle (1956) par la dynastie royale des Alaouites et engagé depuis 1975 dans une guerre coloniale au Sahara Occidental, le Maroc connaît néanmoins des conflits sociaux, vu sa situation dans le cadre de la division internationale du travail. En voici un exemple récent, relaté dans un article traduit par le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (www.cadtm.org).

Le groupe Soprofel, société franco-­marocaine spécialisée dans la production et l’exportation de produits agricoles est l’un des grands groupes agro-industriels actifs au Maroc. Principal fournisseur de l’entreprise Idyl (installée en France), il emploie près de 7000 sa­la­rié·e·s et a été scindé en deux sociétés (mai 2014) : Rosaflor, dont le patron est Marocain, et Soprofel, dont le patron est Français.

Premières victimes de cette restructuration : les ouvriers, hommes et femmes, qui se sont retrouvés depuis l’été 2014 sans emploi. 

La pression syndicale a permis d’en réintégrer un certain nombre. Mais 140 personnes – essentiellement des syndicalistes – n’ont pas été réembauchées sous le prétexte fallacieux qu’il n’y aurait pas assez de travail (bien que l’entreprise impose des heures supplémentaires aux sa­la­rié·e·s réintégrés…). Depuis le 8 janvier 2015, des ouvriers agricoles (en majorité des femmes) occupent un piquet devant l’une des stations d’emballages de Soprofel-Idyl, dans la plaine du Souss-Massa (région d’Agadir, au sud du Maroc).

 

 

Droits humains bafoués

 

A maintes reprises depuis 2006, il a fallu mener des actions pour défendre le droit syndical. En avril 2012, durant 38 jours, six ouvriers licenciés avaient entamé une grève de la faim. Finalement, l’entreprise a dû les indemniser pour licenciement abusif.

Ces conflits montrent «une absence totale de responsabilité dans la défense des droits humains de la part de l’Union européenne [UE]. En effet, d’une part, l’UE fait pression lorsqu’elle signe des accords d’association (…) pour que les investissements des entreprises (privées!) européennes soient respectés et, dans le cas contraire, des sanctions sévères sont prévues. D’autre part, on ne retrouvera dans les textes des accords de libre-échange, de coopération ou de statut avancé aucun mécanisme contraignant en ce qui concerne la défense des droits humains ou de celui des tra­vail­leurs·euses» (cadtm.org).

Au début des années 1990, la vallée du Souss a connu un afflux des investissements agricoles. En effet, l’Etat marocain offre des conditions favorables aux capitaux étrangers : exonérations fiscales, utilisation de l’eau, occupation des sols et respect de l’environnement non soumis à des cahiers des charges. Le code du travail (2004) généralise la flexibilité du travail et les bas salaires : un ouvrier agricole, travaillant 8 h par jour, 6 jours par semaine et 26 jours par mois, touche un salaire minimum de 0,70 euros de l’heure (7,8 dirhams), soit 143 euros par mois. Seuls 6 % du million d’ouvriers·ères agricoles sont déclarés à la caisse nationale de sécurité sociale.

 

 

L’agrobusiness accentue le sous-développement

 

Dans le Souss-Massa, 100 000 ou­vri­ers·ères (majoritairement d’origine paysanne) vivent dans des conditions sociales extrêmes : pauvreté, analphabétisme, logement et conditions de vie précaire (leur région est l’une des plus pauvres du pays) : l’agrobusiness accentue le sous-développement et ne contribue pas à l’amélioration des infrastructures de base (dispensaires, écoles, routes, électricité, eau potable). «La politique de développement déployée à partir des plans d’ajustement structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale a privilégié une libéralisation de l’économie basée sur une production destinée à l’exportation. (…) Le grand gagnant du modèle développé au Maroc est l’agrobusiness, autant marocain qu’européen. La production de fruits et légumes est dominée par huit grands groupes, parmi lesquels se trouvent les entreprises marocaines telles que les Domaines Agricoles (12000 hectares), Bennani Smires et Kabbage (2000 hectares chacun), les françaises Azura et Soprofel-Idyl (avec plus de 2500 hectares chacune) et quelques groupes espagnols» (cadtm.org).

Quelle alternative ? «Il faut que les pays du sud de la Méditerranée comme le Maroc retrouvent leur souveraineté alimentaire et leur plein droit de produire leurs produits alimentaires de base sur leurs terres. La production agricole doit avoir comme objectif principal la satisfaction des besoins alimentaires de base de la population et la protection de la petite paysannerie. Il faut aussi refuser l’ensemble des accords de libre-échange qui pillent leurs ressources et installent un nouveau colonialisme» (cadtm.org). 

 

Hans-Peter Renk

Les citations sont tirées de l’article « Soprofel au Maroc : des tomates pour l’Europe au goût bien amer » sur cadtm.org

 

A lire

sur l’histoire du Maroc et de ses rois

 

—Gilles Perrault, Notre ami le roi. Paris, Gallimard, 1990

— Omar Brousky, Mohammed VI, derrière les masques. Préface de Gilles Perrault. Paris, Nouveau Monde, 2014