Du scandale des fiches à l'inquisition mondialisée

La police politique en Suisse est une institution qui est sensée détecter les personnes susceptibles de commettre des délits, dans des activités politiques, avant même que ces délits ne soient commis ou même seulement préparés. Officiellement, on appelle cela la « détection précoce des activités dangereuses ».

En novembre 1989 éclate le scandale des fiches. La Commission d’enquête du Parlement, présidée par le socialiste Moritz Leuenberger, dénonce le Ministère public fédéral et la Police fédérale (BUPO) d’avoir surveillé et fiché des centaines de milliers de personnes de la gauche combative, plutôt que d’avoir concentré ses efforts sur le crime organisé au plan international.

Le 3 mars 1990, une manifestation immense de 30 000 personnes, à Berne, revendiquait la suppression pure et simple de la police politique.

A l’époque, le Conseil fédéral et la droite politique ont dû faire profil bas, en autorisant pour quelques années l’accès des militants fichés aux documents de la BUPO (accès limité par de nombreux caviardages). Mais l’establishment n’a eu de cesse par la suite de rétablir et de renforcer l’image et la réalité de la police politique et des services secrets.

 

 

Un rôle de frein

 

Pendant de nombreuses années, la mobilisation et la colère suscitées par le scandale des fiches ont continué de jouer un rôle de frein à la volonté gouvernementale de donner des pouvoirs illimités à la police politique .

Ainsi, la loi de 1997 sur la sûreté intérieure donne une base légale à la police politique, mais ne l’autorise pas à procéder à des écoutes téléphoniques, des écoutes clandestines par micro ou à des surveillances des courriers postaux ou électroniques. C’est seulement dans les cas où il y a un soupçon concret qu’un délit est commis ou en préparation, que la police, sous contrôle de l’autorité judiciaire pénale, peut procéder à de telles mesures secrètes.

 

 

La nouvelle loi de 2015 sur le renseignement

 

La loi sur le renseignement, adoptée le 18 mars dernier par le Conseil national et renvoyée à l’examen du Conseil des Etats, a fait sauter les dernières digues qui limitaient les pouvoirs de la police politique et des services secrets.

Alléguant le terrorisme ou « l’extrémisme violent » et des risques flous, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) pourra engager des informateurs (agents infiltrés) et leur donner des faux papiers; surveiller secrètement le courrier, les téléphones, les correspondances électroniques; procéder à des enregistrements clandestins (images et sons) dans des lieux privés.

Ces mesures seront prises non seulement à l’égard de la personne présumée dangereuse, mais aussi à l’égard des personnes susceptibles d’être en contact avec le présumé dangereux (par exemple des personnes en Suisse solidaires des organisations kurdes).

Le contrôle de ces mesures clandestines n’est pas effectué par un juge pénal, mais par le Tribunal administratif fédéral, qui statuera secrètement. Une seconde autorisation émanera du Conseiller fédéral chargé du Département de la Défense. Il s’agit d’un contrôle bidon. Dans la pratique, on sait que de telles autorisations sont délivrées de manière automatique.

Cette loi fait entrer officiellement la Suisse dans les systèmes de surveillances et d’écoutes de masse mis en place par les Etats-Unis (NSA), avec lesquels la Suisse collabore depuis des décennies. Le Conseil fédéral et le Parlement suisse ont choisi leur camp et le proclament. Ce n’est pas le camp d’Edward Snowden, de la transparence et de la liberté, mais celui de l’Inquisition mondialisée. 

 

Nils de Dardel