Le 7 mars, une «manif bourgeoise de femmes»?

Nous avons repris, dans le numéro précédant, un texte d’appel à la manifestation nationale du 7 mars de nos camarades du Collectif antisexiste pour la journée de lutte des femmes, sans indiquer clairement que nous n’avions pas pris part à sa rédaction. La conclusion du Collectif appelant à rejoindre le 7 mars «le bloc antisexiste dans la manif bourgeoise des femmes» a provoqué quelques réactions compréhensibles, rendant une clarification nécessaire.

La maladresse de nos camarades a été de ne pas assez préciser la distinction qui doit sempiternellement être établie entre les organisations et les appareils qui les forment d’une part, et les mi­li­tant·e·s de la base d’autre part, qui doivent souvent elles-mêmes batailler pour faire entendre leur voix contre les tendances anti-démocratiques à l’intérieur de leur propre organisation. Sur le fond, l’organisation de la manifestation du 7 mars dernier avait en effet tout d’une mobilisation bon teint, pour ne pas déplaire à la bourgeoisie, travestissant la journée instituée par Clara Zetkin en une union sacrée des femmes «de gauche comme de droite» pour l’égalité salariale. Un véritable enjeu, évidemment, mais transformé pour l’occasion en une logorrhée vide de sens ou de proposition politique, par une manœuvre opportuniste visant à faire taire la critique contre le plan Berset. 

En cela, les organisatrices de la manifestation s’inscrivaient pleinement dans la tendance actuelle à la dépolitisation des luttes pour l’égalité, qui vise à effacer le lien intrinsèque entre le système patriarcal et le capitalisme pour mieux préserver ce dernier, dans la droite ligne d’un féminisme bourgeois, à l’usage d’une élite, dans lequel nous ne pouvons nous reconnaître. Sur la forme également, la volonté du comité d’organisation de la manifestation de passer sous silence tout ce qui ne relevait pas de l’égalité salariale, au mépris des demandes formulées par les bases mi­li­tant·e·s, ne faisait que reproduire entre femmes des mécanismes de domination propres à la bourgeoisie, démontrant encore une fois la nécessité d’une approche en terme d’intersectionnalité des logiques de discrimination.

Nous pouvons finalement en convenir, la formulation utilisée par nos camarades était quelque peu abrupte. La manifestation du 7 mars a en effet réuni des milliers de mi­li­tant·e·s, des sa­la­rié·e·s en­ga­gé·e·s au quotidien, qui ont essayé de faire de cette manifestation un véritable moment de lutte contre les forces conservatrices qui tentent actuellement de démanteler les acquis sociaux sur le dos des plus précaires, dont les femmes sont la majorité. Qualifier cette manifestation de « bourgeoise » a ainsi pu heurter des mi­li­tant·e·s qui combattent le patronat et les partis de droite sur le terrain, au jour le jour, et se sont sentis mis dans le même panier. Le terme « bourgeois » qualifiait cependant le comité d’organisation de la manifestation, en appelant au contraire à entrer en résistance contre toutes les formes de domination, dans une perspective féministe radicale dont nous nous réclamons. 

 

Audrey Schmid & Stéfanie Prezioso