Congrès «racisme et économie»

Congrès «racisme et économie» : Penser pour agir

Une journée sur les migrations et les frontières intitulée « Racisme et économie » a eu lieu en mars 2015 à Zürich à l’initiative de Kritnet. C’est un réseau qui compte plus de 300 mi-litant·e·s du monde artistique, politique et scientifique. Kritnet s’engage collectivement sur les questions relatives au développement des migrations en Europe. Le but est de mettre en lien une pratique politique avec des connaissances scientifiques et d’aider à influencer, voire modifier, grâce à ces analyses, les politiques migratoires actuelles. C’est un immense défi. Forte de cette aspiration, j’ai participé à quelques ateliers.

 

 

Une table ronde animée par trois mi­litant·e·s impliqués dans différents projets de résistance a lancé la réflexion sur les liens entre racisme et économie : où et comment de tels liens existent-ils et qu’impliquent-ils pour une pratique antiraciste ? Les par­ti­cipant·e·s à cette table ronde ont fait part de leurs expériences. Un vif débat a eu lieu autour du rôle de la science dans le cadre de ces luttes. Les uns défendaient l’idée qu’une science critique doit produire des connaissances permettant aux mouvements de résistance de fonder leurs propres revendications. Les autres soutenaient le principe que la science ne doit pas céder à un utilitarisme contingent. La transformation, les voies et perspectives inédites ne peuvent être le fruit que d’une science libre.

 

 

Développer des positions alternatives grâce à la production de savoirs critiques

 

C’est sur la base de ces réflexions que j’ai participé à l’atelier (sur l’aide à) la fuite. En janvier, les médias avaient largement rendu compte de la dérive du Blue Sky M. Selon Frontex, il s’agissait d’un bateau pourri abandonné dans la Mer méditerranée par des passeurs sans scrupules exposant des centaines de mi­grant·e·s à la mort. Les passeurs, dénoncés comme meurtriers, étaient considérés comme les premiers responsables de ce désastre.

Tel était le point de vue de Frontex. Le journaliste Stefan Bühler, invité à cet atelier, a mené une enquête de son côté pour savoir ce qui s’était réellement passé avec le Blue Sky M. De son reportage, il ressort clairement que le bateau était en parfait état et conduit par un équipage professionnel, qui n’a nullement abandonné l’embarcation, mais que tous, passagers et équipage compris voulaient rejoindre l’Europe pour y trouver refuge. Le discours sur les passeurs était tout simplement faux. Il est vrai que les passeurs n’agissent pas uniquement par bonté d’âme lorsqu’ils organisent ce type de traversée, mais ce ne sont pas pour autant forcément des meurtriers. L’enquête menée sur ces événements a permis ainsi de former une position alternative face à celle, dominante, de Frontex. 

 

 

Quelles résistances face aux politiques migratoires répressives des Etats ?

 

Le deuxième jour, deux ateliers ont eu lieu en parallèle, présentant deux façons de produire un savoir : le premier portait sur la « post-migration » et soulevait une question plutôt théorique en s’interrogeant sur une société post-migratoire. Cela a suscité un débat enflammé sur la notion de solidarité.

L’un des intervenants estimait que, dans les mouvements, il était trop question de solidarité au détriment d’une pratique antiraciste effective. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Le premier intervenant a proposé d’utiliser plutôt la notion alternative de Komplizen­schaft (complicité). On verra dans la pratique antiraciste ce qu’il adviendra du terme proposé comme alternative-­Komplizschaft. D’ici là je reste solidaire, lui a-t-il été répondu.

Le deuxième atelier traitait de la résistance face aux camps et à la politique d’expulsion. Il y était question des processus et de la logique structurelle des politiques d’hébergement et  de renvoi. La discussion portait aussi sur les formes de résistance. A Osnabrück (Allemagne), 200 mi­li­tant·e·s empêchent actuellement toute expulsion. Le groupe No­Lager­Halle a posé la question de la possibilité pour une gauche politique d’intégrer des revendications radicales.

Le collectif Droit de rester (Berne), à l’occasion d’une résistance organisée contre un abri souterrain, a soutenu que le travail unitaire avec les forces social­démocrates peut s’avérer utile pour la défense de revendications dans le cadre légal, mais pas dans une perspective antiraciste globale (un monde sans camps). Ne vaut-il pas mieux de garder plus de temps pour travailler avec des mi­li­tant·e·s dans et hors des camps de réfugiés ? Comment et avec qui intervenir ? Sur ce point, les questions soulvées par ces deux ateliers se sont rejointes. 

 

 

Ecrire, protester et être solidaire pour résister

 

Où mène en définitive cet essai de la production d’un savoir critique ? Les passeurs-passeuses ne sont pas d’office des meurtriers-meurtrières. La solidarité ne suffit pas à dépasser le racisme. La notion de Komplizen­schaft ne pourra s’imposer que si l’expérience en atteste l’intérêt. La résistance et les buts d’une pratique antiraciste ne doivent pas être ensevelis sous des considérations liées à l’état des rapports de force politiques. Durant ces trois jours beaucoup de connaissances ont pu être mises en commun. Des questions ont surgi, des éléments nouveaux ont émergé, des lignes de différenciation sont apparues.

Cela suffit-il pour être critique ? Peut-être n’est-ce pas là la bonne question. Il s’agit bien plus de relever le défi qui consiste à opposer une résistance à la politique migratoire dominante, grâce au savoir, à pouvoir s’en défendre, à la modifier. Cet essai nécessite beaucoup de connaissances et un réseau formé de nombreuses personnes prêtes à la résistance : en écrivant, en protestant, en étant solidaires. 

 

Simone Marti membre de kritnet et de Bleiberecht Bern

Traduit de l’allemand par notre rédaction