Féminin-Masculin
Féminin-Masculin : La Suisse cancre européen de la reconnaissance et de la défense des droits LGBT
Chaque année, l’ILGA Europe (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans & Intersex Association) publie son rapport sur la situation des droits humains pour les personnes LGBTI. En 2015, la Suisse est classée 31e sur 49, rien d’étonnant vu qu’aucun droit ni protection spécifiques ne sont inscrits dans la législation helvétique, en dehors de celle sur le partenariat enregistré. Bien qu’ayant ratifié des conventions européennes et mondiales, la Suisse n’a pas introduit les changements législatifs s’y rapportant.
Alors que l’on voit une montée en puissance des groupes anti-égalité, protectionnistes des valeurs familiales traditionnelles de l’idéal bourgeois avec son lot d’homophobie, la Suisse devrait de toute urgence doper sa législation en matière de protection des LGBT. Aucune des lois actuelles ne tient compte de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Certains de nos prélats nous ont abreuvé de leurs damnations. Citons par exemple Jean-Marie Lovey (Sion) : « de nature l’être humain est sexué, masculin-féminin et il n’est pleinement humain que s’il vit cette complémentarité, des guérisons psychologiques existent », ou encore Vitus Huonder (Coire) : « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils commettent tous deux une abomination. Ils seront punis de mort, leur sang retombera sur eux. » Sans oublier l’UDC Toni Bortoluzzi : «Homosexuels, lesbiennes (…) sont des personnes déviantes. Les couples de même sexe ont un lobe du cerveau qui va dans le mauvais sens.»
Homophobie et protection institutionnelle
La discrimination envers la communauté LGBT revêt une caractéristique bien spécifique : le silence dans lequel se terrent les victimes. Les dernières études indiquent que 65 % des jeunes homosexuel·le·s entre 14 et 25 ans ont eu des pensées suicidaires contre 20 % chez les jeunes en général. Un sur cinq aura fait une tentative de suicide. Un environnement homophobe et la période du coming-out à l’adolescence sont deux facteurs essentiels. Le rapport Prévention de la détresse existentielle des jeunes valaisan·e·s en orientation sexuelle le souligne : « Le suicide ne peut pas être considéré seulement comme le résultat d’un trouble psychique, mais qu’il met en évidence un mal-être social ». La cause de la maladie psychique réside bien dans les bouleversements sociaux provoqués par l’hétérosexisme et l’homophobie que l’on retrouve à tous les niveaux (familial, amical, professionnel, institutionnel). Face à la situation des jeunes qui sont expulsés du domicile familial et livrés à une détresse sociale et psychologique extrêmes, Dialogai a créé, à Genève, le premier refuge de Suisse proposant un hébergement d’urgence pour les jeunes de 18 à 25 ans. Des pistes existent pour que les jeunes LGBT puissent jouir de leur droit de vivre: présenter dans les manuels scolaires les différentes orientations sexuelles comme des variantes normales de la sexualité, de condamner l’homophobie.
Mariage, adoption, asile
La communauté homosexuelle aura vite déchanté à propos du partenariat enregistré qui interdit l’accès à l’adoption et à la procréation, et qui impose le devoir d’autorité parentale tout en interdisant la reconnaissance parentale, seul moyen pourtant d’accomplir ces devoirs. Et faute de lien de filiation possible, l’enfant ne peut faire valoir tout droit à l’entretien, à la succession ou à la rente d’orphelin. Seule l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe peut permettre une réelle protection de la famille. L’initiative « Egalité entre unions homosexuelles et hétérosexuelles » va dans ce sens. Face à la résistance des associations LGBT et sous couvert de dépénalisation fiscale des couples hétérosexuels mariés, le PDC vient de lancer une initiative fédérale dont un des buts est de bloquer toute ouverture possible du mariage civil en gravant dans la constitution une définition hétérosexuelle stricte du mariage. Les préjugés entravent encore les débats sur l’adoption alors que les études démontrent que les enfants de familles arc-en-ciel s’épanouissent davantage dans une famille où ils jouissent de la reconnaissance des deux parents.
Quelques signes encourageants : la motion « Egalité des chances pour toutes les familles » et la « Révision de la loi sur l’adoption ». Pour lutter pour l’égalité des personnes LGBTI dans le cadre d’initiatives, de référendums et de votations populaires, l’association Pro Aequalitatis vient d’être fondée. Son premier objectif : combattre l’initiative PDC. Cette nouvelle entité mise sur des forces militantes actives expérimentées dans les droits LGBT, dont trois candidates au Conseil national, ouvertement lesbiennes et transgenre.
En novembre 2013, la Cour de justice de l’UE a ouvert les demandes d’asile aux personnes homosexuelles menacées de poursuites pénales dans leur pays. Mais plusieurs exemples tels que celui d’O., Nigérian homosexuel emprisonné puis libéré grâce à une forte mobilisation mais risquant toujours le renvoi, prouvent que la Suisse est loin d’appliquer cette décision. « Les personnes concernées doivent rendre vraisemblable le fait qu’elles ont été victime d’une persécution ciblée dans leur pays ou qu’elles craignent de l’être ». Et seuls sont pris en compte les cas de « persécution extrême étatique ou l’impossibilité de protection étatique contre l’homophobie populaire ».
Peut-on attendre d’un Etat homophobe une quelconque protection ? A ce jeu, les personnes persécutées sont doublement victimes, d’un côté comme de l’autre de la mer, qu’elles franchissent au péril de leur vie. Pour les LGBT, la Suisse est une démocratie du « cause toujours » ; beaucoup de débats pour peu de résultat. On ne peut qu’espérer que les changements sociétaux et les développements juridiques à l’étranger et au sein d’organisations internationales permettront que 2015 soit pour la Suisse l’année de la concrétisation de tous ces engagements.
Marjorie Blanchet