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A lire : La Ligue d'action du bâtiment - L'anarchisme à la conquête des chantiers genevois dans l'entre-deux-guerres

L’anarchisme à la conquête des chantiers genevois dans l’entre-deux-guerres

Dans cet ouvrage paru au printemps 2015 aux Editions d’En bas & Collège du travail, Alexandre Elsig revient sur le parcours de la Ligue d’Action du Bâtiment (LAB) qui a marqué le début des années 30 genevoises par son syndicalisme de combat usant d’action directe pour faire respecter l’application de sa convention collective de travail. Cette étude accompagnée d’un riche catalogue d’illustrations tirées des archives de la fondation du Collège du travail, éclaire une réalité méconnue du grand public, dans un pays qui se voudrait celui de la Paix du travail.

«Est-il digne pour des hommes comme pour des organisations ouvrières de se laisser écraser sans murmurer, en ayant le bon droit de son côté? A cela la FOBB a répondu fièrement. Elle ne voulait pas se résigner. Il était donc de son devoir et de son droit le plus absolu, de se défendre par ses propres forces et moyens. » écrivait en 1930 Lucien Tronchet, alors à la tête de la section genevoise de la Fédération des Ouvriers du Bois et du Bâtiment (FOBB) et à l’origine de la création de la LAB.

 

 

L’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes

 

Comme le relate Alexandre Elsig, en juin 1928, suite à une grève victorieuse, les ouvriers du bâtiment obtiennent la réintroduction d’une convention collective de travail qui interdit le travail du samedi après-midi.

Très vite, les militants syndicaux s’aperçoivent cependant que cette interdiction n’est pas respectée et les pouvoirs publics se déclarent impuissants à forcer son exécution. La LAB naît dans ce contexte pour créer une division syndicale à même d’imposer par elle-même, au besoin en recourant à l’usage de la force, le respect des acquis obtenus. Sabotage des avancements de chantier réalisés les samedis après-midi et bagarres avec des « jaunes » font ainsi partie des méthodes d’action directe utilisées par cette émanation de la FOBB, alors fortement influencée, jusqu’au milieu des années 1930, par les idéaux anarchistes de Luigi Bertoni, éditeur du journal Le Réveil.

Présentant tour à tour l’organisation de la ligue, ses inspirations, le portrait de ses militants et les tentatives d’étendre l’usage de l’action directe à d’autres types de luttes sociales, l’ouvrage d’Alexandre Elsig permet ainsi de retracer le parcours d’une expérience relativement atypique dans le paysage syndical suisse, des origines jusqu’à son déclin au milieu des années 30. Un déclin qui se trouve finalement consacré, ironie de l’histoire pour les lecteurs·trices actuels, par l’introduction d’une mesure interventionniste.

En mai 1935, indique en effet Alexandre Elsig, le député radical Charles Duboule présente un projet de loi au Grand Conseil visant à confier à l’Etat la charge de garantir le respect des droits des parties à la convention afin d’éviter le recours à la violence. Modifié dans sa forme finale, le projet approuvé en octobre 1936 prévoit que le Conseil d’Etat ait le pouvoir de décréter les contrats obligatoires pour tous, ainsi que de promouvoir un contrat-type en l’absence d’accord entre les organisations professionnelles. Une première en Suisse, qui prive l’action directe, jusqu’alors justifiée par l’inaction du gouvernement de sa légitimité, tout en ouvrant la voie au fonctionnement tripartite actuel.

Une conclusion qui, de fait, permet de nourrir la réflexion sur le recours de plus en plus présent des forces syndicales à l’arbitrage étatique, en l’absence d’un véritable rapport de force, à l’instar de celui que les membres de la ligue du bâtiment ont su incarner.

Audrey Schmid